Après avoir parcouru presque tout l’éventail de la mélodie française des XIXe et XXe siècle, la maison Timpani nous devait bien un disque Massenet : centenaire aidant, c’est maintenant chose faite avec ce récital enregistré par une jeune soprano qu’on a déjà pu entendre dans une rareté française enregistrée par le même label, Le Cœur du moulin, de Déodat de Séverac (voir recension). Avec l’excellent pianiste Samuel Jean, la chanteuse elle-même est à l’origine du projet, qu’elle défend avec une belle conviction.
Le programme retenu est assez diversifié pour éviter cette monotonie qui guette parfois les disques de mélodies de Massenet ; il offre une voix de femme dans un répertoire jusqu’ici principalement défendu par des barytons. Il permet surtout d’entendre des œuvres appartenant à la dernière période créatrice de Massenet, mais le cycle Poème d’octobre donne un bon échantillon de sa production de jeunesse. On entend ici bien la différence entre le compositeur dont la carrière opératique démarrait à peine (1877 est l’année du Roi de Lahore) et le vieux maître au sommet de son art, osant des accompagnements pianistiques infiniment plus riches et s’essayant à des formes vocales inédites.
Les Expressions lyriques trouvent ici une version sinon définitive (le compositeur destinait ce cycle à une voix de contralto), du moins nettement préférable à celle qu’avait proposée le ténor Damien Top en 1999. Pour être plus précis, le compositeur avait une interprète en tête, Lucy Arbell, comme le soulignent diverses allusions aux rôles-fétiches de son égérie, Charlotte de Werther ou Perséphone dans Ariane. Œuvre étonnante du dernier Massenet, qui juxtapose le parlé au chanté, non pour un mot ou deux, mais sur de longs passages. La deuxième mélodie de ce recueil, « Les Nuages », ne compte ainsi que dix vers chantés, les huit premiers et les deux derniers étant déclamés ! Sabine Revault d’Allonnes négocie sans difficulté le passage d’une voix à l’autre, elle sait incarner les divers personnages en dialogue, et se montre particulièrement convaincante dans la dernière mélodie, « Feux-follets d’amour », avec ces cris qui invitent une cousine de la Louise de Charpentier à se laisser entraîner par le tourbillon des plaisirs. Sa diction est excellente, et l’on a donc là l’une des conditions requises pour reprendre le flambeau d’Arbell qui, selon Massenet, réunissait « la voix, le charme et le drame ».
Si le drame y est, le charme n’est pas en reste. Dans « On dit », où la voix et le piano sont rejoints par le violoncelle (on aurait aimé un peu plus de souplesse dans les interventions de Matthieu Fontana), comme pour « Elégie » et « Amours bénis », la chanteuse distille délicieusement ces vers vieillots. Quant à la voix, elle est fraîche, riche de couleurs, et seul l’aigu forte sonne parfois un peu vert. En matière de nouveautés discographiques, si l’année Massenet se poursuit aussi bien qu’elle commence, nos espoirs seront comblés !