Comme s’en explique benoîtement Jeremy Ovenden, le fil directeur de ce récital tient à sa vie personnelle : il chante du Mozart depuis une quinzaine d’années, sa carrière a commencé en Italie et il a vécu cinq années heureuses dans ce pays. D’où l’idée de ce « voyage en Italie » qui, musicologiquement, ne résiste pas longtemps à l’examen, ce disque réunissant des œuvres composées certes sur des livrets italiens mais loin de l’Italie. Il s’agit bien plutôt de refléter l’évolution de Mozart entre les âges de 12 ans et de 35 ans, et l’on se réjouit de voir que la moitié du parcours est ainsi consacrée à des opéras moins souvent joués que les œuvres de la maturité. Comme ils sont tous en italien, cela exclut Zaïde, Le Directeur de théâtre, L’Enlèvement au sérail et La Flûte enchantée. Voilà à peu près ce qu’on peut dire sur le programme de ce disque.
On remarquera qu’il s’agit principalement d’airs au tempo vif, où Jeremy Ovenden peut montrer ses réelles compétences en matière de vélocité. Dans Il Rè pastore, il est d’abord Alessandro, puis Agenore, de même que dans Idomeneo, il chante en premier lieu un air composé pour l’Idamante ténor de la version de Vienne, puis deux arias destinées au rôle-titre (c’est évidemment la première version de « Fuor del mar » qu’il interprète, et non la version simplifiée de 1786, sur laquelle se rabattaient Domingo ou Pavarotti). Ainsi que l’explique le ténor dans son « Artist’s Note », au début du livret d’accompagnement, l’air de concert « Misero ! o sogno o son desto » forme le plat de résistance de ce disque, « air rarement interprété, horriblement difficile à chanter et épuisant sur le plan émotionnel, mais qui montre si bien le brillant de Mozart ». De fait, la troisième syllabe du récitatif, le « -ro » de « Misero », trahit une fâcheuse hésitation quant à la hauteur de la note, et on sent à plusieurs reprises le chanteur poussé jusqu’au bout de ses ressources.
Malgré tout, les personnages héroïques conviennent sans doute mieux à Jeremy Ovenden que les amoureux transis. Un peu nasale, la voix manque de velouté pour s’imposer dans un registre plus serein, quand les qualités de timbre comptent davantage que la maîtrise de cette virtuosité privilégiée dans presque toutes les autres plages du disque. Son Don Ottavio n’est pas très convaincant, mais cela tient peut-être au tempo étrangement guilleret pris pour « Il mio tesoro » : la première partie y perd tout caractère élégiaque, et cela atténue en partie la difficulté de l’air, les notes étant tenues nettement moins longtemps. Dans « Un aura amorosa », le ténor montre pourtant de quoi il est capable en matière de charme, et l’on s’incline devant le résultat. Avec la direction pleine d’allant de Jonathan Cohen à la tête de The Orchestra of the Age of Enlightenment, voilà un assez beau disque, qui s’aventure avec brio dans des partitions du jeune Mozart que les grands ténors du passé s’abstenaient soigneusement de fréquenter.