Vaughan Williams n’est encore apprécié en France que d’une poignée d’admirateurs, et c’est d’autant plus injuste que notre pays a joué pour le compositeur anglais un rôle de déclencheur, de révélateur. Après avoir passé trois mois à étudier auprès de Ravel, de décembre 1907 à février 1908, le jeune Ralph (né en 1872, il était quand même de trois ans l’aîné de son « maître ») apprit à colorer son orchestration, loin de ce qu’il appelait « le contrepoint teuton ». L’auteur du Boléro voyait en lui « un élève dont j’ai sujet de me targuer », et il œuvra pour que la musique de Vaughan Williams soit donnée en France : en février 1912, le cycle de mélodies On Wenlock Edge fut présenté à Paris, avec Ravel lui-même au piano.
Alors que, de tous ses disciples, Vaughan Williams était selon Ravel le seul qui « n’écrit pas de ma musique », les œuvres présentes sur ce disque, en particulier celles qui associent la voix aux instruments, ont incontestablement été écrites sous influence. Dans Flos Campi (1925), les interventions du chœur (limitées à des « Ah ! »), tantôt flottant comme en apesanteur, tantôt exacerbées en courtes bacchanales, montrent bien que Vaughan Williams devait avoir lu de très près la partition de Daphnis et Chloé, non sans peut-être aller jeter un coup d’œil du côté de « Sirènes », de Debussy. L’œuvre comprend six mouvements généralement calmes (lento, andante et moderato sont les indications dominantes). Même si leur enchaînement ne permettait pas un découpage de l’enregistrement en plages distinctes, on aurait aimé que le livret trilingue, rempli de photos couleurs des interprètes mais plus chiche en informations sur le programme, en reproduise au moins les titres latins, d’autant plus qu’on nous allèche en évoquant leur « contenu érotique ». En outre, dans la partition, des citations extraites du Cantique des Cantiques accompagnent l’œuvre et en justifient le titre ; celles-ci ne sont ni chantées, ni mêmes destinées à être lues à haute voix lors de l’interprétation de sa musique, mais l’auditeur est censé en prendre connaissance durant l’interprétation.
Comme lorsqu’il enregistre de précieuses raretés françaises du XIXe siècle, le label australien Melba a eu recours à un interprète de grande qualité, le ténor Steve Davislim, qui commence à faire une belle carrière internationale. C’est à lui qu’est confiée la partie soliste de On Wenlock Edge (1909), cycle de mélodies d’après six poèmes tirés du recueil A Shrosphire Lad d’A.E. Housman (1896). Vaughan Williams n’est qu’un des nombreux compositeurs britanniques à avoir mis en musique ces textes situés dans une campagne rêvée par le poète sans jamais l’avoir vue, empreints de pessimisme, obsédés par la mort (le numéro 3, « Is my team ploughing », fait ainsi dialoguer un jeune homme mort et son ami qui lui a survécu). Cette fois, c’est du côté du Quatuor de Ravel que lorgne le compositeur, notamment pour l’orage évoqué dans « On Wenlock Edge », le premier numéro. Moins tendu que Peter Pears, moins affecté que Ian Bostridge, qui ont enregistré l’œuvre avant lui, Steve Davislim n’aurait peut-être à redouter que la concurrence de John Mark Ainsley, mais il offre ici une version plus opératique, moins chambriste, que celle de son confrère anglais.
Avec en complément de programme The Lark Ascending, romance pour violon et orchestre inspirée à Vaughan Williams par un autre poète victorien, George Meredith (1914), et une grande réussite du tout jeune Britten, sa Sinfonia da Requiem de 1940, ce disque propose un bien séduisant parcours dans la musique britannique de la première moitié du XXe siècle.