En un an, le statut de Vittorio Grigolo a bien changé. En 2010, son premier CD, The italian tenor (Voir la critique de ce CD par Christophe Rizoud), déjà avec Giorgio Morandi à la baguette, était une carte de visite qui mettait en valeur la beauté du timbre et la fougue de l’interprète. Son deuxième opus est, de l’aveu même de l’artiste, « une boîte de chocolats » : en y piochant, « on ne sait jamais sur quoi on va tomber » (p. 17 de la notice). Le plaisir doit être au rendez-vous et c’est même le seul déterminant des choix effectués pour la construction du programme. Pari tenu ? Voire…
Pour poursuivre dans la métaphore culinaire, ce CD s’assimile plutôt, si l’on veut être positif, à un potchevlech, recette bien connue du Nord de la France où l’on combine toutes les viandes qui restent au frigo… Ou à un gloubiboulga façon Casimir, où la saucisse de Toulouse voisine avec de la banane écrasée, du chocolat râpé et de la confiture de fraise. On peut aimer chacun des ingrédients, sans avoir envie de les voir débarquer ensemble dans l’assiette. Arrivederci de Vittorio Grigolo, c’est un peu pareil.
Sur la vingtaine de plages du disque, huit airs d’opéra (des tubes, de Donizetti, Verdi deux fois, Puccini, Giordano, Cilea et … Mozart) sont suivis d’une douzaine de mélodies italiennes, de Leoncavallo à Lucio Dalla, avec, au milieu, « La danza » rossinienne bien lourdement orchestrée. L’ensemble est, malheureusement, indigeste. Certains choix sont curieux : que viennent faire ici un « aura amorosa » exotique ou l’air de Loris de Fedora, que Grigolo n’est pas prêt d’incarner sur scène ? On pense alors davantage à un ténor amateur exposant l’intégralité de son répertoire dans un gentil concert de quartier, qu’à la star montante du circuit mondial. On objectera que de très nombreux artistes ont, dans des récitals en salle, ainsi bâti leur programme, avec des airs d’opéra, d’abord, des mélodies populaires ensuite (ou vice-versa) : Pavarotti, Carreras, plus anciennement Gigli. Oui, mais. Un récital légué au disque ne peut pas relever de la même logique. Un récital gravé, c’est pour l’Histoire.
Bien sûr, la voix du ténor est d’une insolence rare, la technique remarquable et les aigus sont triomphants. Le Brindisi de Traviata, « La donna è mobile », sont sans surprise mais lui vont très bien. Avec ces cartes-là, Grigolo s’est acquis en peu de mois une place unique sur le circuit des ténors et, s’il gère bien la suite, son avenir est radieux. Il sait alléger subtilement (voyez le fameux « Voglio vivere così… » plutôt drôle) et dans la musique de variété (Lucio Dalla), il est à son aise*. Ainsi, pris dans leur ensemble, à quelques exceptions près, les numéros sont séduisants et le disque sera un bon compagnon de voyage pour une prochaine virée italienne.
Mais, pour faire une bonne pizza, il ne s’agit pas d’accumuler tous les ingrédients imaginables ; il faut les connaître, les sélectionner, les combiner. L’art de Grigolo mérite mieux.
* Un éminent directeur de théâtre avait raconté dans un précédent Cave Canem comment il avait rencontré Vittorio Grigolo après un concert pop dans la villa d’Hadrien près de Rome…