Nouvel opus chez Unitel Classica avec Madama Butterfly, écho estival du Sferisterio de Macerata en 2009. Une soirée de plus en plein air me direz-vous avec les craintes habituelles de brouhaha en guise de conduite musicale ? Cette Butterfly, moins souvent à l’affiche que ces consœurs Turandot ou Aïda dans ces lieux de même augure, réserve un nombre certain de belles surprises et s’inscrit plus qu’honorablement dans la vidéographie actuelle.
Puccini remaniera longtemps son opéra depuis la vision originelle de la pièce de Belasco à Londres en 1900, jusqu’à la création de la version définitive à l’Opéra Comique de Paris en 1906, en passant par le four total de la création à la Scala de Milan en 1904. Fiasco qui conditionna d’ailleurs une partie de ces remaniements. Le compositeur pourtant sentit immédiatement le parti qu’il pouvait tirer de cette héroïne tragique qu’il affectionnait tant, de cette adolescente de quinze ans peu évidente à distribuer tant l’antagonisme physique et vocal est flagrant.
Avec simplicité et sincérité, cet enregistrement accroche en réalisant un équilibre entre part musicale et aspects scéniques. Il est de bon ton depuis quelques années de dénigrer le travail de metteurs en scène jugés trop sages, voire sans imagination ou audace. Pier Luigi Pizzi a fait les frais de cette mode. Bien entendu, Pizzi n’estime pas nécessaire de réécrire les dialogues de ses protagonistes en maniant injures et blasphèmes, de nous dévoiler éventuellement le viol de Cio-Cio San par une garnison de Yankees entièrement nus ou de répandre quelques litres d’hémoglobine sur scène pour démontrer que Pinkerton a bien consommé sa Geisha. Pizzi pourtant, est bien plus que l’esthète gentleman qu’on a trop souvent décrit. Oui, ce qu’il donne à voir est ordonné et équilibré mais surtout, le spectateur ressent l’immense respect de cet homme cultivé et raffiné, sachant demeurer à sa place face à l’œuvre d’un compositeur qu’il estime encore plus grand que lui. Son travail sait laisser place à l’évolution psychologique de ses protagonistes, ses plus belles réussites étant d’apprivoiser cet immense espace grâce à des éclairages judicieux et de parfaitement illustrer l’isolement affectif et social qui progressivement frappe la jeune japonaise. Enfin, quelques détails discrets mais terriblement efficaces participent au drame. Par exemple, quand après le harakiri de Cio Cio San, Suzuki vient, dans l’esprit de la doctrine des Samouraïs, achever sa maitresse en lui tranchant la gorge avant de la prendre dans ses bras.
Musicalement, Daniele Callegari évite tous les désordres sonores régulièrement au rendez-vous dans ce genre d’endroit et sa palette de nuances et de dynamismes est remarquable. L’affiche, d’une cohésion sans failles, offre un reflet assez fidèle de ce que l’on peut écouter actuellement sur les scènes italiennes. Au sein d’une carrière encore jeune, Annunziata Vestri a déjà beaucoup chanté sa Suzuki et y confirme ses qualités de timbres et surtout, d’émotion discrète. Claudio Sgura exploite les fêlures de son émission afin de servir un Sharpless pétri d’humanité. Massimiliano Pisapia ne possède sans doute pas le physique d’un jeune premier, ni une voix d’une immédiate séduction. Et pourtant, il lui suffit de quelques mesures d’un chant châtié, rare une fois encore dans ce type d’espace où plus d’un s’époumonerait joyeusement, pour composer un Pinkerton crédible, nuancé vocalement et psychologiquement. Le couple qu’il forme avec Raffaella Angeletti est tout à fait concevable. On a connu geishas au timbre plus opulent et fruité et pourtant, on comprend pourquoi Butterfly est le cheval de bataille de la soprano italienne. Elle maitrise cet art du parlando chanté typique de l’écriture puccinienne, tout en caractérisant la candeur et l’innocence de la jeune japonaise. Son premier air convaincant laissera pourtant le haut du podium à un adieu à son fils de toute beauté dramatique. In fine, cette soirée nous redit qu’il n’est pas nécessaire de réunir quelques présumées stars pour présenter un enregistrement efficace.