Pour ce 427e Rigoletto dans son histoire, le MET réunit en cette matinée du 22 février 1964 trois de ses piliers des années 1960 : Robert Merrill, Roberta Peters et Richard Tucker, qui totalisent à eux trois plus de 2000 apparitions sur la scène du MET (2041 très exactement, pour les puristes : il y en a).
La direction du maestro Fausto Cleva est solide à défaut d’être inspirée. Elle a surtout pour objectif de permettre aux chanteurs de briller, en leur ménageant des effets dont le public raffole. La fin du duo « Si vendetta », avec son rallentendo du plus mauvais effet, en est l’illustration. Le style et la continuité sont souvent sacrifiés, les chœurs sont plus d‘une fois laissés à eux même, mais cette baguette assure néanmoins le minimum syndical (si tant est que cette expression puisse avoir un sens au MET…).
Richard Tucker (738 apparitions au MET entre 1945 à 1974) n’est pas le duc idéal, mais il ne déchoit pas. Lui manquent la légèreté, comme dans « Questa o quella », le soleil dans le timbre, ainsi que la maîtrise de l’esthétique verdienne. Ces défauts sont – au moins – partiellement compensés par une technique robuste, et un réel engagement : Tucker chante avec une indéniable sincérité, le cœur sur la main. Il n’a certes pas le cynisme glacé d’un Kraus ou l’élégance de Bergonzi, mais il nous épargne aussi le débraillé d’un di Stefano. Un Duc somme toute assez attachant.
Le bouffon campé par l’inusable Robert Merrill (789 représentations au MET de 1945 à 1976 !) appelle des commentaires similaires : voici une voix saine, solide, apte à transmettre des émotions, qui ne convient finalement pas si mal au rôle. Son Rigoletto est moins torturé que celui de Fischer-Dieskau, moins idiomatique que ceux des illustres Stracciari et de Luca, c’est certain, mais aussi plus naturel, avec juste ce qu’il faut de surcharge expressionniste (ses « Gilda ! Gilda ! » à la fin du II).
On doit en revanche admettre des réticences devant la Gilda maigrelette de Roberta Peters, une des chéries du public du MET à cette époque. Elle n’arrive pas à transcender la vocalité du rôle pour en faire le vecteur d’un cœur qui s’ouvre à l’amour. En outre, la voix commence à bouger sérieusement par moments. Elle roucoule « Caro nome » à tout va, en digne héritière de Lily Pons : de la pure mécanique vocale, de la colorature au tout premier degré, qui fait penser, dans l’esprit, à l’air d’Olympia dans Les Contes d’Hoffmann… On y cherchera en vain la moindre trace d’émotion. Le public adore –il a ce qu’il attend, avec force clins d’oeil- mais on n’est pas loin du hors sujet.
Les comprimarii ne déparent pas l’ensemble : Monterone efficace de John Macurdy (sa malédiction fonctionne), Sparafucile charbonneux à souhait de Bonaldo Giaiotti, Maddalena convenable de Mignon Dunn.
Cet écho de la matinée du 22 février 1964 offre en définitive un reflet assez fidèle de la routine du MET, jusque dans les quelques coupures que l’on relèvera avec sévérité (la première moitié de « Veglia o donna », en particulier). Il n’y a là rien d’inspiré, mais rien d’indigne non plus. Au sein d’une discographie pléthorique, voilà un enregistrement destiné à rester confiné dans les marges.