Une jeune chanteuse à qui l’histoire fit l’affront de ne retenir ni le nom ni les exploits, s’écria en sortant de scène “ce soir, mon contre-ut était trop haut, c’est mieux que trop bas,… non ?” L’expression de son autosatisfaction, tellement candide, est merveilleuse car au fond elle soulève une interrogation bien légitime : chanteur trop haut est-ce mieux que chanter trop bas ? C’est, à l’échelle du chant, la question du bien et du mal, du clair et de l’obscur, de la lumière et des ténèbres.
Nous ignorons si, en enregistrant le présent opuscule, la soprano géorgienne Nino Machaidze s’est posée la même question. Ce qui est certain, c’est qu’elle s’est accommodée du principe de chanter haut et que son entourage immédiat n’a pas eu à coeur de l’en dissuader. Il ne sera donc pas impossible, à des oreilles tatillonnes, de ressentir comme un petit frisson d’effroi quand d’aventure Nina Machaidze va promener sa voix dans la stratosphère. Il sera permis de soupirer face à l’exotisme appuyé du français. La belle langue de Campistron, ici mise à rude épreuve, ne trouve pas en Mademoiselle Machaidze son socle le plus idiomatique.
On l’aura compris, ce n’est pas le souci du détail qui fait la qualité de ce disque. Ce n’est pas non plus la photo de couverture qui, pour mettre en valeur les traits indéniablement favorables de l’artiste, sacrifie au plus élémentaire bon goût et présente une soprano lippue, au gloss affirmatif et dont l’oeil semble une invitation au voyage. Programme disparate, aléatoire, mal assorti, il montre quelle belle musicienne Machaidze sait être, notamment dans une « Petite table » toute de retenue et d’intériorité. D’autres airs, trop nombreux, souffrent d’une voix qui s’accommode mal de la loupe du disque, le Turco en particulier met mal à l’aise.
Mais c’est dans la cantilène que Machaidze se montre souveraine, classieuse et d’une hauteur de vue dont tout ce qui précède nous détournait : elle sait phraser, jouer du souffle comme d’un métronome, se faire tragédienne par une économie de moyens et d’effets qui fait mouche. Quand elle s’accroche à sa ligne, hausse le buste, quand le geste vocal se fait sobre, nous tenons là une interprète de très grande classe.
Hélène Mante