« Réflexion faite, je pensais qu’à notre époque, un sujet classique serait plus actuel si ce sujet avait un côté satirique […] C’est ainsi que je suis tombé sur Le Nez de Gogol ». Ainsi se « justifiait » Chostakovitch de ne pas avoir puisé son livret dans la production des dramaturges de son temps mais d’être retourné au génial auteur de Tarass Boulba (avec un emprunt aux Frères Kazamarov de Dostoïevski). La satire y est telle que l’opéra tomba sous le coup de la censure et passa une quarantaine d’années au purgatoire –créé en 1930, la partition ne fut rejouée en Russie qu’en 1974. C’est également sur un texte « ancien » (1864) de Leskov que se base Lady Macbeth de Mzensk, page composée entre 1930 et 1932 et révisée 1963. Après cela, le musicien n’achèvera plus aucune œuvre lyrique, laissant Le Grand Eclair (1931-1932) et Les Joueurs (1941-1942) à l’état de fragments.
Paru pour la première fois il y a vingt ans, la présente mise à jour du numéro 141 de la revue Avant Scène Opéra n’est (presque) pas différente de la première édition. Voilà qui nous chiffonne. Non pas parce que la version publiée en 1991 était mauvaise -bien au contraire- mais parce que certains passages ont mal vieilli. On a désormais l’habitude des révisions d’anciens numéros au sein desquels de nouveaux articles côtoient des « originaux ». Cependant, à quoi bon nous proposer une « mise à jour » si c’est pour conserver au présent des passages tels que : « Publier un volume sur les deux seuls opéras du compositeur le plus censuré par le régime soviétique au moment même où celui-ci s’écroule, en 1990, est une formidable occasion de (re)découvrir la force de cette musique, de rappeler les faits et les dates qui ont jalonné sa traversée du désert » ? Sachant que cette nouvelle mouture nous est proposée en vue du prochain Festival d’Aix et que la dissolution de l’ Union Soviétique est une chose qui ne fait plus partie de l’actualité brûlante, ce genre de phrases aurait pu être légèrement modifié, ainsi que toutes les allusions à l’URSS d’ « aujourd’hui ». Il est normal de lire cela dans des livres au papier légèrement jauni mais pas dans des pages dont l’encre est à peine sèche… La rubrique « L’œuvre à l’affiche » semble finalement être la seule à avoir suscité une véritable recherche nouvelle car, en ce qui concerne la discographie, la rédaction s’est contentée d’ajouter aux commentaires d’antan des critiques publiées depuis sous la forme d’un « copier-coller » avoué. Force est de constater que la lecture des habituelles rubriques comparatives est plus intéressante que ce patchwork de notices indépendantes. Heureusement, le nombre relativement restreint d’enregistrements ne rend pas la tâche trop fastidieuse à tout qui voudrait en établir lui-même un résumé paradigmatique.
Malgré ces quelques réserves, il faut avouer que le contenu de ce numéro double est (ou reste) de très haute tenue. Qu’il s’agisse de l’article d’André Lischke, dont la passionnante deuxième partie confronte (forcément superficiellement, format oblige) les différentes versions de Lady Macbeth de Mzensk ou du complet et convaincant commentaire du Nez par Jean-François Boukozba (qui, entre autres, compare efficacement le texte originel au livret définitif et se souvient à bon escient des liens du compositeur avec le septième art) en passant par l’étude littéraire, sociétale et « psychologique » de Katerina par Jean-Michel Brèque1 ou la brillante exégèse dramaturgique de cette seconde œuvre par Cécile Auzolle, tout ici est passionnant. Ce numéro reste donc la meilleure manière d’approcher ces partitions et/ou de mieux les connaître. Pour cela, on ne s’en privera sous aucun prétexte.
Nicolas Derny
1 Pour aller encore plus loin, on se reportera à l’article d’Harry Halbreich, De Katia a Katerina, dans la mise à jour du numéro 114 de l’Avant Scène Opéra consacré à Kat’a Kabanová.