Il n’existe à ce jour aucun « manuel » d’esthétique musicale en français couvrant l’histoire de la discipline de l’Antiquité au début de notre siècle. Les quelques 800 pages du présent livre ne prétendent pas combler cette lacune mais n’en constituent pas moins une importante contribution à la littérature consacrée à ce passionnant sujet. Placée sous la direction experte de Christian Accaoui, lui-même auteur d’un grand nombre d’articles, l’équipe de chercheurs (confirmés ou doctorants) réunie autour de cet ambitieux projet se distingue par son sens de la pédagogie. A chaque page, cette somme d’érudition reste accessible au lecteur le moins averti en même temps qu’elle comble le connaisseur. Une qualité plutôt rare.
En se basant -lorsque besoin est- sur les fondements antiques de la pensée esthétique (Platon, Aristote, etc.), les articles proposés ici sont toujours structurés de manière très claire et si certains nous emmènent sur des terrains inattendus, tous restent d’une grande pertinence. Histoire, analyse, philosophie, sociologie, littérature voire psychologie, de nombreuses branches de la musicologie et des sciences humaines sont invoquées dans cet ouvrage encyclopédique qui, non content de résumer les connaissances actuelles, se risque parfois à lancer des idées ou pistes de réflexion originales. Bien sûr, çà et là, un exemple musical aurait permis d’éviter la description laborieuse d’un passage particulier ou d’un principe d’écriture (on trouvera, par exemple, des explications plus didactiques de la modalité en tant que système théorique). Cependant, l’intérêt majeur de cette ouvrage est de réussir la prouesse de ne pas se répéter inutilement -en nous indiquant à la fin de chaque texte une liste plus ou moins longue d’entrées supplétives, les auteurs ont tissé un « réseau » de notices qui se recoupent et se complètent de manière optimale. Bien sûr, à côté des articles les plus brillants (« Goût », « Nation », « Renaissance », etc.) d’autres, très minoritaires, apparaissent inévitablement comme moins indispensables (« Concerto », « Enregistrement »). Et si l’on peut penser qu’à la longue liste des termes et concepts expliqués les définitions « musique spectrale », « dadaïsme », « polyphonie », « acousmatique » etc. pourraient venir s’ajouter, tous ces éléments –sauf le dernier- sont abordés dans d’autres notices de manière plus ou moins développée. Au final, le choix opéré par Accaoui est parfaitement satisfaisant.
La seule véritable critique d’ordre méthodologique que nous formulerons vise la tendance de certains auteurs à prendre les définitions de dictionnaires généralistes (Petit Larousse, Robert) comme base de leur réflexion. Quoiqu’ ils leur apportent en général les précisions nécessaires, le peu de crédit scientifique dont bénéficient ces outils n’en font pas un matériau de base très approprié -leur unique avantage est de montrer la manière dont les termes qu’ils définissent sont appréhendés par les non-spécialistes. Peu pratiques, les renvois bibliographiques indiqués à l’anglo-saxonne nous obligent à nous reporter en fin de volume pour trouver les références complètes des ouvrages cités. Une solution qui permet toutefois de gagner un précieux espace -en évitant un grand nombre de notes infrapaginales- mais qui, dans un ou deux cas, fait montre d’imprécision (dans l’article « Herméneutique » notamment).
Ces réserves mineures n’entachent en rien la très grande qualité d’une publication magistralement réussie et aboutie. A n’en point douter, cet ouvrage s’imposera très vite comme une lecture indispensable pour les étudiants en musicologie et les musiciens autant qu’il servira de livre de chevet aux mélomanes en quête de connaissance. Dictionnaire, bréviaire ou aide-mémoire, voilà une pièce indispensable à toute bibliothèque musicale digne de ce nom.
Nicolas Derny