Forum Opéra

Der Ring des Nibelungen

Partager sur :
Partager sur facebook
Partager sur twitter
Partager sur linkedin
Partager sur pinterest
Partager sur whatsapp
Partager sur email
Partager sur print
CD
2 mars 2011
Des hommes, des Dieux et Furtwängler

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Détails

Richard WAGNER
(1813-1883)
Der Ring des Nibelungen
Wotan/Der Wanderer, Ferdinand Frantz
Fricka (Das Rheingold), Ira Malaniuk
Fricka (Die Walküre), Elsa Cavelti
Loge (Das Rheingold)/Siegmund, Wolfgang Windgassen
Alberich (Das Rheingold), Gustav neidlinger
Alberich (Siegfried), Alois Pernerstorfer
Brünnhilde, Marthe Mödl
Sieglinde, Hilde Konetzni
Hunding, Gottlob Frick
Siegfried, Ludwig Suthaus
Fafner/Hagen, Josef Greindl
Erda/Waltraute, Margarete Klose
Mime, Julius Patzak
Donner/Gunther, Alfred Poell
Froh, Lorenz Fehenberger
Freia, Elisabeth Grümmer
Woglinde/Gutrune/3ème Norne, Sena Jurinac
Coro della Radio italiana
Orchestra Sinfonica della Radio Italiana
Direction musicale, Wilhelm Furtwängler
EMI Classics– 50999 908161 2 3 – Enregistré en 1953 – 13 CD

Un instant, oublions. Oublions l’érudition discographique nous contant par le menu les difficultés rencontrées par Furtwängler pour confier au disque sa vision du Ring. Oublions les versions dites de référence. Oublions les écoles et les lectures. Oublions Bayreuth et oublions Vienne. Ecoutons et, oui, tombons à genoux. Car cette réédition d’un Ring à la naissance compliquée n’est pas seulement devoir de mémoire envers un chef d’orchestre d’exception. C’est simplement la remise en circulation d’un miracle.

 

Certes, maint wagnérien compte pour peu ce Ring comparé aux merveilles usuellement et légitimement célébrées – Krauss 53, Keilberth 55, Knappertsbusch 58, sans aller jusqu’à Böhm. C’est qu’ici rien n’est aussi incontestable sans doute que dans ces lectures géniales de drame et de vitalité. Ce Ring, on le trouve souvent froid, inabouti, un peu raide. Or, précisément, c’est cela sa vertu. Jamais on n’entendit un Ring si indifférent aux astuces du théâtre enregistré. Et jamais peut-être n’entendit-on Ring si peu humain, si délibérément, si suprêmement, divin. Graver, pour Furtwängler, ce ne fut pas ici graver un disque, mais graver un monument d’airain.

 

Inexpert, l’Orchestre de la RAI ne délivre aucune irisation, et n’a en aucun cas l’épaisseur de Vienne ou Bayreuth, mais il est implacable de densité – un granit noir, un sombre métal. Partout semble régner la nuit, des temps et des âmes. Aucune concession à un quelconque histrionisme. Personne ne joue ici, sinon sa vie éternelle sur un échiquier plus grand que l’univers. Transfiguration de tout par un Furtwängler qui n’interprète pas, mais vit son Ring, comme hanté de visions. Sa femme même témoigne des journées passées à Rome pour l’enregistrement. La Ville Eternelle tendait ses bras mols au vieux couple ; mais Wilhelm restait à l’hôtel, lisant, creusant, humant inlassablement sa partition. Et voilà l’évidence brutale, souvent insoutenable de force, qui surgit d’une fosse devenue chaudron magique à force d’imprégnation organique.

 

Ainsi Rheingold. Les Géants, si souvent entendu bourrus et empotés, sont des créatures sorties d’entrailles brûlantes (Greindl et Frick, bestiaux). Loge n’est pas un malin, malin et demi, mais un esprit mâle quoique plaintif. Neidlinger est, comme ailleurs mais plus qu’ailleurs, un Albe fétide. Et Wotan ? Le mari négligent est ici une statue d’un marbre rare. Ferdinand Frantz arbore le visage impassible de l’Eternel, et son trouble n’en déchaîne que plus d’orages. Surtout, s’entend ici le geste fondateur de ce Ring : une maîtrise totale du temps – lenteurs et éclairs soudains, oui, et adéquation intime à la narration légendaire, qui n’obéit en rien au temps humain, mais le disloque au gré du discours divin, ennoblit la parole, la rend pérenne parce qu’elle n’est pas jactance, mais Verbe. Sertie, la parole wagnérienne le fut-elle jamais à ce point dans le Ring ? Quand beaucoup s’épuisent à rendre cette parole des dieux plus humaine, plus tendre (et, pourquoi pas ?…bourgeoise !), Furtwängler y imprime son sceau qui est d’intemporalité.

 

Ainsi Walküre. Les « tunnels » wagnériens – conversations à rallonge, querelles de ménage entre Wotan et Fricka – appellent de Furtwängler un creusement du discours orchestral, qui précisément dans son bouillonnement arrache le propos à sa futilité ou à sa longueur pour l’exhausser à une déclamation qu’elle ne devrait jamais cesser d’être. Surgit de ce magma la silhouette d’une Martha Mödl disciplinée comme rarement, proche, si proche de son Isolde de l’année d’avant, à Bayreuth. Son dialogue avec Wotan-Frantz est empreint d’un poids où n’affleurent aucune peur, aucun tremblement devant l’abîme (« War es so schmählich, was ich verbrach »). C’est la pleine acceptation du destin que traduit cette parole économe en affects. Qui attend Shakespeare trouvera Eschyle. Windgassen même semble estomper cette fêlure qui rend si attachant (et si expressif) son timbre pour en cultiver le bronze – clair, certes, et malléable.

 

Ainsi Siegfried. Le Mime de Julius Patzak porte son fardeau de servitude sans l’hystérie ordinaire des ténorinos de Singspiel. Plus terrible sa fascination pour l’or, sa vipérine et visqueuse insinuation. Le barytonnant Suthaus est un Siegfried que le poids des ans empêche d’être tout à fait svelte et rieur. Il est roide voire lourd, privant de tout sourire les saynètes du commencement de l’opéra – d’autant que le modelé que Furtwängler donne à son orchestre démine toute comédie au profit d’une veine autrement inquiétante : dissonances peu souvent mises en valeur, cacophonie de timbres, heurts harmoniques viennent souligner le désordre contre-nature de cet univers affaissé. C’est à se demander si après cela on pourra encore prendre au sérieux les lectures grimaçantes et censément burlesques de ces scènes où Furtwängler fait entendre une déliquescence. Le Wanderer ne se reconnaît dès lors à rien d’autre qu’à cette impavidité marmoréenne qui tranche avec tant de déglingue. Seulement, lorsqu’il faut contrer cette décadence, tuer des dragons, allumer des forges, réinventer un destin, l’énergie insufflée par Furtwängler ne passe pas non plus par une surexcitation, mais par la majesté architectonique du geste : la forge peut bien parfois grésiller et brasiller, chez Furt, elle brûle d’une immense flamme blanche qui danse avec la grâce lente d’une déesse. Inouï. A cela ne ressemblent que les murmures d’une forêt peuplée d’ombres. Ou le frisson solaire des deux héros réunis en un duo dont l’aspiration au sublime trouve en Furtwängler un démiurge étranger à toute limite dans l’élévation (avec des cordes qui, ignorantes – dit-on – des miroitements wagnériens, offrent une lumière aveuglante de clarté).

 

Ainsi Götterdämmerung. Là, Furtwängler trouve comme dans nul autre volet de la Tétralogie de quoi faire circuler cet air brûlant, de quoi installer cette vision foncièrement nocturne. Chaque chanteur pèse ici son poids exact. Suthaus en Siegfried déjà éprouvé. Greindl en Hagen plus brutal que nature, et surtout une Mödl dont le sublime et devenu l’élément, mieux : la substance même. Pour elle seule, pour cette alliance suprême avec Furtwängler, il faut écouter ce Ring, singulièrement cette Götterdämmerung et notamment l’Acte I, enregistré « live », où Furtwängler jette dans la bataille tout ce qu’il sait et tout ce qu’il peut. Ce dernier volet est en un sens le plus ingrat de la Tétralogie – difficulté à conclure, redites, caricaturée avec drôlerie par Anna Russell. Hé bien, dans cette Tétralogie, il est le plus confondant, le plus divers, le plus absolu du cycle : Furtwängler y fait entendre non pas le jeu des motifs, mais les plans sonores qui sont comme une mémoire étagée, les ressources ultimes des timbres, le jusqu’au-boutisme d’un compositeur qui, parvenu tel Proust à son Temps retrouvé, ose des alchimies et des solécismes narratifs nouveaux, admirables, qu’il faut savoir repérer, entendre, et faire entendre.

 

Pour l’anecdote, ce Ring fut enregistré pour la radio italienne, en grande partie « live », à Rome, à raison d’un acte par représentation ou session. Furtwängler reprenait là son projet ancien d’enregistrer le Ring en studio, que l’intégrale milanaise (1950) avait aiguillonné. En 1954, il reprendra le chemin des studios, avec EMI cette fois (il avait signé en 1952) et Mödl toujours, pour une Walkyrie qui en restera l’unique volet, la mort ayant rattrapé le Maître. Dans ce désir d’enregistrer avec Vienne une nouvelle fois le cycle, on lut la reconnaissance implicite que le Ring de la RAI était inabouti. C’est inexact. En réalité, le Ring de la RAI n’était tout simplement pas destiné à sortir des archives de la radio pour gagner le circuit commercial, ce qui aurait dû être la destination du Ring EMI. Du reste, Furtwängler avait choisi son cast romain au mépris des contrats commerciaux, mêlant artistes EMI et artistes DG, par exemple. Inabouti ? Allons, la notice du coffret rappelle très judicieusement le commentaire du Maître posant la baguette à l’issue de Götterdämmerung : « Je ne puis faire mieux ». On ne dit rien d’autre, en somme.

 

Sylvain Fort

Commentaires

VOUS AIMEZ NOUS LIRE… SOUTENEZ-NOUS

Vous pouvez nous aider à garder un contenu de qualité et à nous développer. Partagez notre site et n’hésitez pas à faire un don.
Quel que soit le montant que vous donnez, nous vous remercions énormément et nous considérons cela comme un réel encouragement à poursuivre notre démarche.
ringf

Note ForumOpera.com

4

❤️❤️❤️❤️❤️ : Exceptionnel
❤️❤️❤️❤️🤍 : Supérieur aux attentes
❤️❤️❤️🤍🤍 : Conforme aux attentes
❤️❤️🤍🤍🤍 : Inférieur aux attentes
❤️🤍🤍🤍🤍 : À oublier

Note des lecteurs

()

Votre note

/5 ( avis)

Aucun vote actuellement

Infos sur l’œuvre

Détails

Richard WAGNER
(1813-1883)
Der Ring des Nibelungen
Wotan/Der Wanderer, Ferdinand Frantz
Fricka (Das Rheingold), Ira Malaniuk
Fricka (Die Walküre), Elsa Cavelti
Loge (Das Rheingold)/Siegmund, Wolfgang Windgassen
Alberich (Das Rheingold), Gustav neidlinger
Alberich (Siegfried), Alois Pernerstorfer
Brünnhilde, Marthe Mödl
Sieglinde, Hilde Konetzni
Hunding, Gottlob Frick
Siegfried, Ludwig Suthaus
Fafner/Hagen, Josef Greindl
Erda/Waltraute, Margarete Klose
Mime, Julius Patzak
Donner/Gunther, Alfred Poell
Froh, Lorenz Fehenberger
Freia, Elisabeth Grümmer
Woglinde/Gutrune/3ème Norne, Sena Jurinac
Coro della Radio italiana
Orchestra Sinfonica della Radio Italiana
Direction musicale, Wilhelm Furtwängler
EMI Classics– 50999 908161 2 3 – Enregistré en 1953 – 13 CD

Nos derniers podcasts

Nos derniers swags

Dans les profondeurs du baroque
CDSWAG

Les dernières interviews

Les derniers dossiers

Zapping

Vous pourriez être intéressé par :

Quand Versailles nous est prématurément conté
Livre