De nombreuses publications, plus ou moins convaincantes, cherchent à montrer et à définir les liens qui unissent divers domaines de l’art. Il n’est qu’à citer le monumental et passionnant livre intitulé Miroirs de la musique de François Sabatier (Fayard, deux volumes, 1998) pour s’en convaincre. Toute tentative pour objectiver les relations entre l’architecture et la musique comporte de nombreux risques car l’analogie fait souvent appel à l’intuition, bref au domaine subjectif. C’est à cet exercice périlleux – l’établissement d’un rapport entre la polyphonie parisienne (les organa) et l’architecture des cathédrales gothiques – que Pascale Duhamel s’est livrée dans le présent ouvrage. Si, sur le fond, l’argumentaire de l’auteure nous semble convaincant, il reste néanmoins froid et scolaire. De plus, les trop nombreuses imperfections sur la forme sont regrettables pour une telle publication.
Ce livre est la copie presque exacte de la thèse de la musicologue et médiéviste Pascale Duhamel. Si le contenu des thèses est bien souvent indigeste, il faut reconnaître que la lecture de cet ouvrage se fait sans grande difficulté. Un des principaux problèmes vient du fait que l’auteure et l’éditeur ne se sont pas donnés la peine d’effectuer la conversion thèse-livre pourtant peu compliquée. Ainsi peut-on lire, page 12 que « les tableaux, les analyses et exemples musicaux et les illustrations se trouvent tous sur le disque compact qui accompagne ce livre ». Or il n’y a pas de CD accompagnant l’ouvrage, les exemples sont insérés dans le texte et il eut été bon de supprimer cette phrase. De plus, ces mêmes exemples ont subi quelques modifications légères mais perturbantes. Aussi, le tableau p. 76 ne contient pas (ou plus après conversion) les caractères gras pourtant mentionnés p. 77 (« voir caractères gras dans le Tableau XIII ») et les couleurs annoncées p. 128 pour les exemples musicaux (« L’analyse […] hiérarchisée au moyen de cadres de couleur ») font malheureusement également défaut. Par ailleurs, quelques notes de bas de page trahissent également le peu d’attention portée à cette conversion thèse-livre. Aussi, on peut lire, à la note 80 de la p. 80 « Voir page [sic] 79-81, à réajuster ». Bien sûr les numéros de pages indiqués sont erronés (non « réajustés ») de même que l’indication de la note 90 p. 83 qui renvoie à un exemple musical introuvable à la page 114 mentionnée. Les nombreuses citations présentes dans le texte sont parfois en français, parfois en anglais. Il eut été bon de traduire toutes les citations anglaises en français, ne serait-ce que par soucis d’uniformité. Enfin, soulignons la présence de nombreuses imperfections typographiques tels l’absence aléatoire d’espace avant la double ponctuation « ; », les numéros de notes en fin de phrase généralement après le point mais parfois avant, et la présence de l’abréviation « p. » en fin de ligne avec les numéros de pages en début de ligne suivante (l’espace entre les deux devrait être insécable). Tous ces petits défauts, sans grande importance pris isolément, sont décelables dans les seules pages 2 et 3 de l’ouvrage. En résumé, l’auteure semble s’être bien peu investie dans cette publication tant en aval, pour la relecture qu’en amont, pour les quelques modifications à apporter au texte original de sa thèse.
Du point de vue du contenu, peu d’erreurs flagrantes apparaissent avec cependant un mauvais exemple du 6e mode rythmique dans le tableau de la page 113 (deux pieds au lieu d’un seul) et une erreur dans la transcription rythmique de la page 135 à la voix du duplum (trois tempora en trop). Le livre consacre 40 pages à exposer le contexte historique, culturel et esthétique de l’époque (avec une riche description de la pensée scolastique), plus de 100 pages à l’étude du répertoire musical (le magnifique Magnus Liber Organi) et environ 70 pages à l’architecture des cathédrales. La thèse apporte bien peu d’éléments nouveaux par rapport aux publications déjà existantes sur les différents sujets, seules les 27 pages restantes de l’ouvrage nous livrent une vision personnelle des rapports entre la musique et l’architecture ainsi qu’une critique pertinente des limites de cette comparaison. Les compétences et les connaissances de l’auteure sont indéniables et souvent intéressantes mais les trois domaines étudiés que sont la pensée scolastique, le répertoire du Magnus Liber Organi et l’architecture des cathédrales gothiques sont traités de façon par trop scolaire. Dans l’ensemble, ce livre reste une « vraie thèse » et ne dégage aucune chaleur, aucun amour du répertoire étudié et ne s’adresse, selon nous, qu’à des musicologues. Pour les amateurs de la musique médiévale et de l’architecture gothique, nous conseillons de faire l’impasse sur le livre de Pascale Duhamel et d’aller plutôt écouter les étonnants organa de Léonin et de Pérotin in situ, dans une des nombreuses et magistrales cathédrales gothiques, à chaque fois que l’occasion s’en présente.
Lars Nova