Il y a plus de dix ans que la douce Barbara Hendricks n’occupe plus l’avant-scène médiatique. Celle qui fut, sur le plan hexagonal, une véritable coqueluche, revient, périodes festives obligent, avec une autobiographie.
Au rayon Mémoires, nous connaissons plusieurs exercices de style. Les dictionnaires savamment régulés avec calendrier exhaustif, faits d’armes et discographie appliquée, les livres de plage avec l’ineffable «Casta Diva» de Montsie Caballé qui, entre fou-rire involontaire et béatification, ne rend pas justice à l’ogresse souvent miraculeuse que fut la Catalane. On fréquentera également les encyclopédiques rares sur papier précieux avec «Leyla Gencer, romanzo vero di una Primadonna» en égérie. On chérira les passionnants ouvrages, témoins de leur époque (Galina Vishnevskaya) ou les chevets affectifs auxquels on revient inlassablement, comme Joan Sutherland, A Prima Donna’s progress.
Une bio donc, une de plus ? Pas vraiment, nous avouons avoir passé un agréable moment en compagnie de Barbara. Fluide, accessible sans tomber dans a facilité ou le béat, Hendricks désirait faire le point sur son parcours multiple de femme, de cantatrice, de mère et de citoyenne du monde. Successivement, elle nous guide depuis l’émancipation de l’adolescente « black » dans les heures tourmentées d’une Amérique n’ayant pas encore vaincu tous ses démons, son éducation musicale, ses rencontres marquantes dont celle avec son unique Maestra Jennie Tourel, ses choix guidés plus par la musicienne que par la chanteuse. Le portrait qu’elle croque, gomme quelque peu l’aspect lisse de celle qu’on nous présenta souvent comme une chanteuse trop politiquement correcte.
Barbara Hendricks ne nous a jamais ému, même au faîte de ses moyens. Néanmoins, nous avons toujours ressenti un immense respect pour celle que nous percevions comme une professionnelle rigoureuse, dotée d’un ravissant physique, d’un joli talent, et d’une voix qui sans être transcendantale en ses principes, avait le mérite d’une certaine pluralité de répertoire et à quelques broutilles près, du respect de ses limites (Sur le plan lyrique, plus que quelques rôles, on peut surtout reprocher à Hendricks de les avoir abordé dans des vaisseaux trop vastes pour sa vocalité). Son mari agent, mais aussi, Alain Lanceron et l’armada Emi furent d’une redoutable efficacité pour vendre et maintenir celle qui fut le prototype de la jolie soprano Afro-Américaine Lyrique léger, dont Miss Battle, outre Atlantique, fut l’autre pendant et dont actuellement, Danielle de Niese rame quelque peu pour reprendre le flambeau. Barbara Hendricks fut avant tout une bien belle concertiste. Activité où elle exerce encore avec un talent certain et un certain succès. Malheureusement, la mémoire collective des amateurs ne retient que les grandes carrières opératiques, une des nombreuses injustices du microcosme lyrique. Barbara eut plusieurs vies, son engagement humanitaire ne fut pas le moindre. Tenace, durable, sincère, il lui permet encore actuellement de porter aux quatre coins de la planète, l’étincelle d’espoir contenue dans la plus simple des mélodies. Bien entendu, les mordus du vocal préfèreront sans doutes les pages dévolues aux purs aspects musicaux (les conseils à l’adresse des jeunes chanteurs sont tous opportuns et sans détour). Personnellement, nous trouvons juste que Barbara manque un peu de recul par rapport à son propre travail. Consignes d’écriture ? Combien il aurait été passionnant qu’elle se livre sur sa perception de la place qu’elle occupait, l’évolution de la voix d’une chanteuse sur une période de plus de quarante ans, les difficultés peut-être, de faire certains deuils médiatiques ou vocaux ? Il nous semble que Barbara était la personne adéquate pour ces thématiques. Au final, pourtant, au travers d’un portrait sans fard excessif, sans fausse pudeur, respectueux de tous mais franc, Barbara Hendricks nous convainc que l’aboutissement d’une carrière ou plutôt d’un parcours artistique, peut se définir en un équilibre teinté de sérénité.
Philippe Ponthir