Ce livre est le quatrième que ses auteurs consacrent à Mozart depuis 1998. On a donc tout lieu d’espérer trouver dans cet essai la substantifique moelle née d’une recherche si constante. Qu’en est-il ? En fait, « le cœur (du) livre, (c’est) l’image de Dieu que nous renvoie la musique de Mozart. » Cette déclaration ne figurant qu’à la page 146 d’un ouvrage qui en compte 187, on peut regretter que la couleur – à dire vrai bien perceptible – ne soit pas annoncée plus tôt, plus franchement.
Dans une première partie, les sept derniers opéras de Mozart constituent la base de l’exposé. Les auteurs y voient les étapes d’un itinéraire spirituel semblable à celui de Dante dans La divine Comédie, parcouru pour les trois premiers dans le retentissement de la mort de la mère, survenue à Paris en 1778 lors du séjour en France de Wolfgang et dont Léopold tenait son fils en partie responsable. Idoménée (1781) correspondrait donc à l’Enfer ; on y trouve un père qui veut la mort de son fils. L’Enlèvement au sérail (1782) serait le Purgatoire : les sentiments de Belmonte et de Constance se purifient. Les Noces de Figaro enfin seraient le Paradis parce que le pardon de la Comtesse restaure le bonheur perdu. (N’aurait-il pas été plus cohérent de voir dans le pacha l’image d’un père finalement magnanime et dans le comte celle d’un père susceptible de nuire mais définitivement ( ?) vaincu ?) Selon les auteurs c’est avec le finale des Noces, aux accents liturgiques, « que naît celui qui a pour mission de chanter la miséricorde de Dieu ».
La mort de Léopold en 1787déclenche une reprise du cycle et son approfondissement. Mozart retourne en Enfer, avec Don Giovanni, mais cette fois il ne s’agit plus des souterrains mythologiques, mais bien de la vie et de la mort de ceux qui nient Dieu. Sans être nié, il est absent de l’opéra suivant, Cosi fan tutte, assimilé au Purgatoire des sentiments ; les auteurs se félicitent d’y voir Mozart dépasser « le romantisme » qui attribue une valeur élevée –trop ?- au sentiment amoureux. (N’était-il pas possible de voir dans Don Giovanni un fils coupable et dans Cosi des fils repentis – d’abord châtiés – par le père Alfonso ?) En revanche on ne peut que souscrire à l’assimilation entre La Flûte enchantée (1790) et le Paradis, Sarastro étant ici le père salvateur qui devient le « frère » du fils.
Reste La Clémence de Titus (1791). Cet opéra souvent considéré comme inférieur musicalement à ceux qui le précèdent constitue pour les auteurs l’aboutissement du parcours. Dans le comportement du souverain qui choisit d’épargner les comploteurs les auteurs découvrent « le vrai visage du père qui surgit, symbole d’un Dieu qui aime l’homme, son fils ».
Ainsi, comme on a pu vouloir tirer Mozart du côté des Lumières laïques – tout au plus déistes – Claire Coleman et Fernando Ortega (qui est prêtre) affirment dans la deuxième partie du livre (p.117 à 185) que dans cet opéra « dominent les idées évangéliques » et que « dans ses œuvres les plus maçonniques …l’orientation chrétienne de (la pensée) de Mozart apparaît. …Parce que Mozart était chrétien catholique de culture, certes, – mais beaucoup plus encore ». Voilà sans doute pourquoi les auteurs voient dans Cosi fan Tutte « un conte biblique, une réflexion sur le récit de la Genèse », dans les épreuves d’initiation de de La Flûte « un itinéraire de rédemption qui, en apparence (seulement) se passe du sacrifice du Christ. » Car ce « processus de purification ne pourrait-il pas être vu…comme participation…au sacrifice du Christ ? » Et « l’aria de Pamina au deuxième acte (devient) un écho de la Passion du Christ. » Le Requiem vient comme l’aboutissement du parcours, l’accès non au Paradis des origines mais au Royaume promis par le Fils.
A la page 120 les auteurs se demandent si « cette lecture interprétative (les a) rapprochés du noyau de la pensée musicale » de Mozart, et répondent par l’affirmative. Nous aimerions en dire autant, mais dans ce livre il s’agit moins de musique que de sujets, moins de pensée que de foi. Divisé en deux parties séparées par un intermède où s’enchaînent des citations d’auteurs célèbres (arguments d’autorité ?) et suivies d’un envoi où se succèdent des extraits de l’Evangile rapprochés d’extraits du livret des opéras étudiés, cet ouvrage relève pour nous d’une instrumentalisation de la musique de Mozart. On l’aura compris, il s’adresse en priorité à ceux qui ont les mêmes références et surtout les mêmes convictions religieuses que les auteurs. Les autres se sentiront-ils concernés ?
Maurice Salles