Longtemps pilier du répertoire, le Faust de Gounod s’est progressivement raréfié sur les scènes lyriques internationales et même françaises. C’est ce qui explique que les rares enregistrements vidéo disponibles à ce jour ne sont pas pleinement satisfaisants : d’un côté, des captations anciennes, vocalement magnifiques, mais techniquement et/ou scéniquement médiocres (on songe aux représentations de Tokyo avec Alfredo Kraus, Mirella Freni et Nicolaï Ghiaurov, par exemple) ; à l’autre extrémité du spectre, des captations plus récentes, si peu convaincantes musicalement que la charité nous impose de ne pas même les nommer.
Le présent enregistrement vient donc bienheureusement combler un vide, et il le comble de la plus belle façon. Enregistré durant les représentations à Covent Garden en 2004, ce DVD se place en effet d’emblée au sommet de la vidéographie, malgré quelques faiblesses, et ne suscite qu’une seule question existentielle : pourquoi avoir attendu si longtemps avant de le publier !
Au zénith de ses moyens, le Docteur Faust de Roberto Alagna allie insolence des moyens et parfaite maitrise stylistique. Avec lui, c’est toute une tradition du chant français que l’on voit renaitre : diction impeccable, maîtrise du souffle, phrasé. On pourra chipoter sur certains aigus un peu hauts (un péché mignon de Roberto), des couleurs pas toujours très variées, une interprétation a priori trop extérieure (habilement utilisée par la mise en scène), mais, vocalement, Alagna est sans rival parmi les ténors de sa génération.
Angela Gheorghiu à l’inverse, est totalement investie dans un personnage dont elle sait traduire les moindres émotions par des inflexions vocales d’une grande richesse. La captation permet de lisser certains défauts constatés sur scène : la voix gagne en homogénéité, en projection, et la prononciation est ici toujours très claire. En revanche, le jeu scénique peu paraitre un peu outré, car il n’est pas facile de jouer à la fois pour la caméra et pour le poulailler. Néanmoins, il est impossible de ne pas sentir le frisson passer. Au global, une magnifique incarnation et un « couple lyrique » qui s’accorde parfaitement. C’est hélas du passé.
A l’inverse, Bryn Terfel choisit une interprétation théâtralement sobre mais juste. Vocalement, on sera partagé : d’un côté, un style quelque peu relâché, particulièrement sensible dans la « Sérénade » ; de l’autre, une intelligence du mot absolument remarquable.
Le Valentin de Simon Keenlyside est un luxe : une magnifique prestance scénique, une voix magnifique avec juste ce qu’il faut d’émotion, sans histrionisme.
Autre luxe, le Siebel attachant de Sophie Koch, parfaite tant vocalement que scéniquement. Le mezzo français réussit à nous rendre digne d’intérêt un personnage habituellement fade.
Antonio Pappano dirige avec plus d’ardeur que de délicatesse (on songe à sa récente Manon mais c’est une approche qui se défend tant elle contribue à nous focaliser sur le drame qui se joue. )
Dommage, avec un aussi beau plateau d’avoir coupé « l’air de la chambre » de Marguerite, l’air de Siebel qui suit ou encore les couplets bachiques de Faust au dernier acte. Le ballet est en revanche restitué : c’est d’ailleurs, grâce au metteur en scène, un des moments les plus forts de ce spectacle.
La production de David McVicar est un en effet un des intérêts majeurs de ce DVD : une approche « coup de poing », spectaculaire, originale mais qui ne trahit néanmoins pas l’ouvrage, fourmillant d’idées pour soutenir l’intérêt du spectateur tout au long du spectacle. On peut imaginer des spectacles plus émouvants, mais celui-ci n’en est pas moins une réussite dans son approche décapante.
Placido CARREROTTI