Des trois versions de Chanson perpétuelle, avec piano, avec orchestre ou avec piano et quatuor à cordes, c’est cette dernière qu’a choisi d’enregistrer Sandrine Piau en compagnie du pianiste Philippe Bianconi et du Quatuor Parisii. Un disque Saphir Productions entièrement consacré à Ernest Chausson dont on regrette qu’il ne fasse pas une place plus large à la voix. Chanson perpétuelle est en effet la seule pièce vocale du programme (qui comporte également Concert Op.21 et Quatuor Op. 35). Dans cette mélodie composée en 1898 sur un poème de Charles Cros, Ernest Chausson témoigne une nouvelle fois de l’ardeur lyrique qui nous fait regretter qu’il n’ait écrit qu’un seul opéra : Le Roi Arthus dont la composition lui demanda près de dix ans, de 1886 à 1895, et qui ne fut créé qu’après sa mort en 1903 à Bruxelles. C’est à ce même Théâtre de La Monnaie, en 2003, que l’on doit – sauf erreur de notre part – les dernières représentations du Roi Arthus. Une reprise à l’Opéra de Paris, dont on ne se souvient pas que l’ouvrage ait un jour figuré à l’affiche, serait plus que nécessaire : indispensable.
D’une facture totalement différente – délicate et non plus épique – mais pénétrée de la même poésie, Chanson perpétuelle fut créée le 28 janvier 1899 au Havre par sa dédicataire Jeanne Raunay. L’œuvre d’une courte durée – moins de dix minutes – n’exige pas une virtuosité à toute épreuve et demande davantage de savoir dire que de savoir chanter. Pourtant, ce n’est pas la diction qui fait ici le prix de l’interprétation. On a connu d’ailleurs meilleure diseuse que Sandrine Piau ; certains mots échappent à qui n’a pas le texte sous les yeux. Le chant, en revanche, est en parfaite adéquation avec l’esprit de la mélodie (il s’agit de la plainte d’une femme que son amant a quitté et qui se prépare au suicide) : le ton malade, des teintes blafardes qui se heurtent à la fraîcheur du timbre (de la même façon que, on imagine, la jeunesse de cette femme contraste avec la noirceur de ses pensées), des sons qui s’écoulent douloureux, tantôt liquides, tantôt brûlants. Entre l’évocation des jours heureux et l’appel à la mort, la voix s’anime ou au contraire se consume dans sa propre détresse, jusqu’au cri déchirant qui referme la page. Tout aussi éloquent, le tissu musical déroulé par Philippe Bianconi et le quatuor Parisii finit de lier intimement amour et mort dans une approche éminemment wagnérienne. Sept minutes trente cinq de musique qui justifient le téléchargement du morceau à partir de toute plate-forme homologuée. Les amateurs de musique de chambre, séduits par un Concert Op.21 et un Quatuor Op. 35 ciselés dans le même bois précieux, n’hésiteront pas à acheter l’album dans son intégralité.
Christophe Rizoud