Passage obligé de tout parcours discographique, les Carmina Burana de Carl Orff version Daniel Harding arrivent aujourd’hui au catalogue de la Deutsche Grammophon dans une version live enregistrée à Munich au printemps dernier. Pour quelles raisons l’amateur de musique ferait-il l’acquisition aujourd’hui d’une nième version de cette œuvre populaire… réputée facile, vulgaire et triviale ? Ces chants profanes ne sont certes pas Il trovatore, mais on aurait presque tendance à dire qu’il faut, pour les défendre valablement, les meilleurs chanteurs du monde et un chef avec une idée directrice pour les conduire.
Et le bât blesse terriblement sur chacun de ces aspects. La déception vient d’abord de Daniel Harding lui-même, qui ne réussit jamais à surprendre et à apporter sa touche à cette partition rebattue. Certes, la dimension rythmique de l’œuvre est correctement illustrée – certains silences entre les plages du CD rompent pourtant la tension – et la solennité de certaines pages est soulignée… surlignée, presque. L’orchestre et les chœurs sont simplement moyens, la prise de son live n’aidant certainement pas au peaufinage que permet le studio.
Côté solistes, Christian Gerhaher domine la distribution, de la tête, des épaules et du bas ventre ! En 2004, dans un enregistrement paru chez EMI sous la direction de Simon Rattle, il avait déjà démontré que cette partition convenait particulièrement bien à sa voix, dont la souplesse se jouait des pièges et faisait partager au public le plaisir manifeste de la chanter. Cinq ans et demi plus tard, la qualité de la prestation est toujours là. La voix semble s’être alourdie, assombrie même légèrement… mais la différence de prise de son – et le niveau du volume proposé – est telle que seule une écoute dans la salle permettrait de confirmer ce diagnostic.
Patricia Petibon est l’autre attraction de la distribution et le résultat est très décevant. « La-soprano-que-le-monde-nous-envie » minaude, abuse des notes blanches, façon médiévale peut-être, et qui une fois grossies sont franchement désagréables à l’écoute. Elle accuse même dans le redoutable « Dulcissime » un vibrato gênant. Quant au ténor Hanz-Werner Bunz, il est tout simplement ridicule dans le fameux « Olim lacus colueram ». Proposant une voix de tête détimbrée et inconfortable, il incarne une sorte de petit fils de Florence Foster-Jenkins… Nul besoin d’en dire plus.
Au final, un disque tout à fait inutile, dans une discographie déjà riche. L’enregistrement historique, également chez DG, sous la baguette d’Eugen Jochum (Fischer-Dieskau/Janowitz/Stolze), est une référence sûre. Plus récemment, les versions Plasson (EMI – Hampson/Dessay/Lesne) ou Rattle (EMI – Gerhaher/Matthews/Brownlee) sont très largement préférables.
Jean-Philippe Thiellay