E.T.A Hoffmann nous laisse l’image d’un « artiste bohème, un peu fou et passablement ivre qui, attablé dans l’une ou l’autre taverne laisse galoper son imagination exaltée1 ». Il est connu comme l’une des grandes figures littéraires du romantisme musical. Admirateur de la première école de Vienne (Haydn, Mozart, Beethoven) il a inspiré, d’une manière ou d’une autre, Schumann (les Kreisleiriana op. 16 font référence à Johannes Kreisler, maître de chapelle imaginé par Hoffmann) et de nombreux autres compositeurs, de Berlioz à Kurtág2 en passant par Offenbach et Wagner.
Né le 26 janvier 1776 à Königsberg, Ernst Theodor Wilhelm Hoffmann (il change, en 1802, son troisième prénom contre celui d’Amadeus, en référence à Mozart) apprend la musique dès l’enfance, manifestant un don prodigieux pour le piano. Toutefois, contraint et forcé par son oncle maternel, Otto Wilhelm Dörfer, il effectue des études de droit à l’université de Königsberg. Devenu fonctionnaire, Hoffmann s’ennuie à mourir et, comme il le note dans son journal intime commencé en 1803, pense abandonner la carrière de juriste pour se consacrer à l’art. Homme aux talents multiples, il hésite entre l’écriture, la musique et la peinture. En 1803, il est muté à Varsovie où il reste jusqu’à ce que les troupes napoléoniennes occupent la ville et mettent fin à l’administration prussienne (1806). Durant cette période polonaise, il ébauche pas moins de 10 opéras, compose quelques œuvres instrumentales et continue de peindre. Il passe les années 1807-1808 à Berlin avant que ne lui soit proposé le poste de Musikdirektor de la ville de Bamberg. Durant 5 ans, il aura là-bas l’occasion de se consacrer à la musique -en tant que compositeur et surtout en qualité de critique, principalement pour l’Allgemeine Musikalische Zeitung. C’est de cette période bavaroise dont traite le livre de Rainer Lewandowski, auteur, metteur en scène et intendant du théâtre de… Bamberg.
Ce n’est pas une publication d’ordre philologique ou musicologique que nous propose Lewandowski3 mais un ouvrage hybride dont la première partie, Romantage – néologisme intraduisible qui englobe l’idée de roman et de journal – raconte, sans génie littéraire particulier, la période que Hoffmann et sa femme passèrent à Bamberg. La maladie, la pauvreté, les amours déçues, tout y passe sans que nous ne nous sentions véritablement concerné pour autant. L’usage, çà et là, de dialecte bavarois ou de polonais (heureusement traduits en allemand), langue maternelle de Maria Thekla Michalina Rorer-Trzynska (1781-1859), épouse de l’artiste, relève à peine cette prose plutôt plate, qui ne captive jamais.
On retrouve Michalina dans un monologue théâtral créé à Bamberg le 25 septembre 2008 par l’actrice Johanna Bronkalla que Rainer Lewandowski n’a pas seulement choisie pour ses talents d’actrices ou son physique avantageux mais également parce qu’elle est née en… Pologne. Cette quête d’ «authenticité » colle avec les données historiques rigoureusement exactes contenues dans cette pièce, histoire d’une jeune veuve qui tourne son regard vers le passé. En dehors de cela, étant donné que cette femme reste plutôt mystérieuse pour les historiens, on reste dans le domaine de la fiction dont l’intérêt ne dépasse pas celui du Romantage.
En troisième et dernière partie, on trouve le livret d’un futur opéra, Hoffmanns Welt (Le Monde d’Hoffmann), œuvre qui devrait être créée le 4 mars 2011 sur une musique du compositeur autrichien Roland Baumgartner (né en 1959) dans une mise en scène de Uwe Drechsel et sous la direction de Arn Goerke. En attendant, le livret d’opéra étant un genre littéraire mineur, on se demande si l’idée de le publier sous cette forme est vraiment judicieuse. D’autant qu’en l’état, le tout semble assez statique et se présente comme un fatras d’influence diverses d’Ariane à Naxos à Lulu…
La seule recommandation que l’on puisse réellement faire est d’opérer au plus vite un retour à l’original. Les écrits d’Hoffmann sont parmi les plus passionnants pour qui veut plonger au cœur du romantisme allemand qu’il soit littéraire ou musical – quoique ses critiques et analyses musicales restent assez conventionnelles. L’internaute germanophone en trouvera un certain nombre en accès libre grâce au Projekt Gutenberg4. Les éditions L’Âge d’Homme ont également publié, en 1985, une traduction des Ecrits sur la musique présentés par Alain Montadon. On les préférera à tout autre type d’« élucubration » autour de cette figure passionnante.
Nicolas Derny
1 G. Vinckenbosch, « E.T.A. Hoffmann et la musique ancienne », Revue belge de musicologie, vol. 26/27 (1972-1973), p. 59-66 ; 60-61.
2 Merkwürdige Pirouetten des Kapellmeister Johannes Kreisler en réalité conçues comme un hommage à Schumann comme l’indique le titre du recueil : Hommage à R. Sch. Op. 15 D (1990)
3 Si on en cherche un, on se tournera vers « E.T.A. Hoffmann et la musique », actes d’un colloque s’étant tenu à Clermont-Ferrand en 1987 (Bern, etc., Peter Lang, 1987)
4 http://gutenberg.spiegel.de/index.php?id=19&autorid=154