Les très sérieuses éditions Mardaga viennent de publier un nouvel ouvrage sur Grétry dans la collection « Regards sur la musique », sous la direction de Jean Duron, dans le cadre des publications du Centre de musique baroque de Versailles. Ce recueil d’articles est une belle réussite. Si on nous précise d’emblée que les ouvrages consacrés à André-Ernest-Modeste Grétry (1741-1813) abondent, la présente publication n’est pas une compilation de plus ou un ajout négligeable. Bien au contraire…
Les différents articles ont tous le mérite de faire le point sur les divers aspects abordés et d’apporter une contribution souvent passionnante aux recherches menées sur l’œuvre et la personnalité de Grétry. Ils sont, en tout état de cause, très agréables à lire et toujours didactiques, chacun des auteurs se donnant la peine de préciser, même succinctement, les éléments biographiques ou contextuels essentiels à une bonne compréhension d’ensemble, rendant la lecture possible y compris pour les néophytes, sans nuire à la qualité scientifique de l’ensemble. L’appareil de notes et la précision des références et des citations combleront le chercheur sans encombrer la lecture du dilettante qui découvrira lui aussi avec bonheur Grétry grâce à cet ouvrage.
Le plan de l’ouvrage est assez ingénieusement conçu et permet une succession harmonieuse des différents articles qui s’enchaînent avec cohérence en évitant les redondances qu’on trouve parfois dans les récolements d’articles où les mêmes informations sont redites encore et encore, ce qui n’est pas le cas ici.
Le premier article de David Charlton présente Grétry et permet de voir en lui l’initiateur de l’opéra moderne. L’étude fait le point sur la question et présente le musicien en tant que conservateur et patriote ouvert aux idéaux de la Révolution tout à la fois. On nous précise que sa manière de colorer la musique se rapproche de celle d’un peintre, ce qui introduit l’essai suivant, de Carole Blumenfeld, doctorante spécialiste de la belle-sœur et assistante de Fragonard, Marguerite Gérard. Cette dernière a peint un portrait très intéressant du musicien. L’historienne de l’art en profite pour présenter d’autres portraits de l’artiste, au demeurant étonnamment nombreux. On découvre ainsi le musicien présenté en artiste, homme du monde, grand homme. Et on conçoit assez bien, avec l’auteure, que Grétry a pu devoir sa postérité davantage à ses portraits qu’à ses opéras.
La contribution suivante laissait présager le pire : une étude systématique des dédicaces de Grétry. Si la dédicace est un exercice obligé et artificiel, il ne s’en montre pas moins très révélateur et Thomas Vernet nous en rend la présentation tout à fait passionnante et permet de mieux comprendre les relations que Grétry entretenait avec ses commanditaires et ses proches. Cette partie de l’ouvrage est tout spécialement instructive. Et si dans ses écrits particulièrement abondants le compositeur a, après la Révolution, des mots très durs contre la société de l’Ancien Régime, l’analyse des dédicaces et leur contenu permettent de relativiser ce jugement a posteriori.
L’essai suivant permet d’aller encore plus loin dans la découverte de la position du musicien dans la société française et de saisir comment il s’est imposé à la cour et dans les milieux aristocratiques. Le travail historiographique mené par l’auteur, David Hennebelle, est de qualité et sa réflexion analytique très fine.
On évoque ensuite les arrangements d’après la musique de Grétry qui représentent une masse considérable et témoignent de la diffusion des œuvres de l’artiste. Près de 450 éditions sont étudiées et Hervé Audéon nous propose, en plus de son interprétation du phénomène, une liste des éditions des arrangements instrumentaux impressionnante ainsi que des exemples musicaux lisibles et bien choisis.
Buford Norman s’intéresse alors à l’utilisation des vers de Racine pour Andromaque, en nous expliquant les motivations de Grétry qui insista auprès de son librettiste pour reprendre littéralement les vers du grand tragédien, ce qui était totalement proscrit dans les usages et faillit coûter l’interdiction de présenter le spectacle. Là encore, le propos est clair, documenté et convaincant. L’analyse permet de bien cerner l’évolution et les crises internes de l’opera seria.
Dans un dernier essai qui clôt l’ouvrage, on s’intéresse à la démarche d’un Grétry vieillissant qui délaisse la musique au profit de l’écriture, dans une démarche proche de celle de Rousseau que Grétry n’a rencontré qu’une fois mais admiré toute sa vie. Grétry, dans ses Mémoires ou ses Réflexions, recherche lui aussi la vérité dans la nature et prodigue des conseils aux jeunes compositeurs dont on nous instruit ici avec une profusion de citations.
On achève donc l’ouvrage avec la sensation d’avoir pu approcher l’univers, les motivations et l’ancrage dans la société d’un Grétry dont on aura pu suivre l’évolution au fil des très nombreux extraits idéalement choisis de ses publications. L’ouvrage rend également compte des publications les plus récentes sur la question et leur contenu.
On pourra néanmoins regretter l’absence de bibliographie récapitulative (qui est certes dans les notes, mais qu’on aurait souhaité voir figurer en fin de volume). Quant à l’édition, elle est très professionnelle. Peu de coquilles, mais une mise en page qui aurait pu être un peu plus aérée (augmentant certes le nombre de pages déjà conséquent). Saluons l’iconographie riche et de bonne qualité ainsi que la clarté des exemples musicaux. Le livre, en plus de ses qualités intrinsèques, a l’avantage d’être aussi un bel objet. Et comme le disait Grétry dans les Réflexions d’un solitaire, cité page 51 : « La charge d’un objet est facile à faire ; mais réunir la grâce, l’esprit à la ressemblance, savoir distinguer au juste ce qui caractérise son modèle, est chose aussi rare que difficile ». L’ouvrage y parvient…
Catherine Jordy