Guillaume de Machaut (c. 1300 – 1377)
Ballades
Ensemble Musica Nova
Lucien Kandel, direction
Christel Boiron et Marie-Claude Vallin, cantus
Thierry Peteau, ténor
Marc Busnel, bassus
Lucien Kandel, ténor et direction
Birgit Goris et Pau Marcos, vièles à archet
Julien Martin, flûtes à bec
Marie Bournisien, harpe gothique
Machaut :
De Fortune me doi pleindre et loer (B23)
Dame, se vous m’estes lointeinne (B37)
Esperance qui m’asseüre (B13)
Phyton, le mervilleus serpent (B38)
Se quanque amours puet donner à amy (B21)
De triste cuer / Quant vrais amans / Certes, je di (B29)
Il m’est avis qu’il n’est dons de Nature (B22)
Sans cuer m’en vois / Amis, dolens / Dame, par vous (B17)
Hoquetus David
Amours me fait desirer (B19)
Quant Theseus / Ne quier veoir (B34)
Je ne cuit pas qu’oncques à creature (B14)
Anonyme :
Pour vous revoir (Instrumental) – Sois tard tempre
1 CD aeon AECD0982
Durée totale : 75’17
Promenade au pays des ballades
Après son excellent enregistrement des 23 motets de Machaut (CD Zig Zag 021002), l’ensemble Musica Nova explore, dans ce nouvel opus, 11 des 42 ballades mises en musique par le chanoine de Reims. La réussite est de nouveau au rendez-vous, tant du point de vue esthétique que technique. Les chansons choisies témoignent toutes du génie expressif de Machaut, ce maître incontesté de la chanson française du 14ème siècle. La prononciation des paroles est extrêmement soignée, convaincante dans ses sonorités (nasalisation de certaines voyelles, prononciation des consonnes finales par exemple) et permet une excellente compréhension du texte chanté. Le livret contient les paroles des chansons (traduites en français moderne et en anglais) dont la lecture présente en soi un grand intérêt car elle témoigne de la richesse et de la force des images poétiques. Les chanteurs semblent « habités » par le texte et confèrent une grande expressivité aux lignes mélodiques si caractéristiques de Machaut. La seule réserve que nous formulerions concerne quelques chansons dans lesquelles l’emploi des instruments, au lieu d’apporter une variété de couleur agréable à l’oreille, vient gâcher quelque peu l’expression musicale. Aussi, et pour ne citer qu’un exemple, regrettons-nous l’utilisation de diminutions à la flûte pour la plage 3 alors que les trois premières minutes de cette ballade sont très réussies (l’ajout d’une troisième voix, un triplum, non composée par Machaut, pour cette même chanson est par contre non seulement légitime musicologiquement mais s’avère également être une réussite du point de vue esthétique). Plus généralement, l’interprétation des pièces en faisant intervenir un nombre croissant de voix et d’instruments pour permettre une sorte de crescendo qui renouvelle le discours musical lors des reprises est trop systématique. Nous préférons, le cas échéant, la première strophe des ballades, plus épurée, aux derniers vers souvent plus chargés musicalement. Néanmoins une telle construction peut également être convaincante comme en témoigne la très belle interprétation de « De Fortune me doi pleindre et loer » (plage 1). La variété des timbres et des instruments est par ailleurs très plaisante. La voix est parfois seule, parfois accompagnée d’un instrument, parfois doublée par une autre voix ou un instrument et certaines chansons sont interprétées de bout en bout a cappella sans que la justesse en pâtisse. Bien souvent, le texte poétique est ajouté aux voix inférieures par monnayage rythmique. Cette pratique est tout à fait légitime mais nous regrettons que les interprètes n’aient jamais retenu une option supplémentaire qui consisterait à vocaliser sur une voyelle choisie les parties inférieures tandis que seul le cantus prononcerait le texte poétique.
Ces quelques remarques, d’ordre esthétique et sujettes à discussion, ne doivent pas cacher l’essentiel : l’ensemble Musica Nova nous offre une promenade sonore très réjouissante au pays des ballades. Grâce à cette interprétation, le génie de Guillaume de Machaut et la richesse de ses lignes mélodiques sont rendus plaisamment accessibles à tout un chacun alors même que ce compositeur peut occasionnellement sembler froid et ardu dans d’autres versions discographiques pour les non-médiévistes. Soulignons enfin la grande cohérence dans l’usage de la musica ficta, la justesse irréprochable des chanteurs très rarement mise à défaut et la bonne complémentarité des timbres vocaux. Cet enregistrement est une réussite indubitable à mettre entre toutes les mains, même et peut-être surtout entre celles qui n’ont jamais eu l’occasion de s’immiscer dans le monde de la musique du bas Moyen-Âge.
Lars Nova