L’Opéra-Comique, sous l’impulsion de son directeur Jérôme Deschamps, lance une série de DVD dont le premier titre consiste en la captation du spectacle ( cf notre critique) qui ouvrait la saison 2008/2009 : Dido and Aeneas, sous la direction de William Christie, mis en scène par Deborah Warner. Le but de cette collection est ouvertement didactique, destinée à un large public, noble motivation que l’on ne peut que saluer avec ferveur. Lancé avec une couverture publicitaire conséquente et dans un élégant packaging reprenant la charte graphique et l’habillage délicieusement suranné qui fait le charme de la communication de l’Opéra-Comique, le DVD est remarquable.
Seul véritable opéra de Purcell, mais arrivé jusqu’à nous incomplet et amputé du prologue, de scènes musicales et de ballets – ce que nous explique très bien William Christie dans le supplément/bonus de 23 minutes efficace, concis et éclairant –, Dido and Aeneas dure à peine une heure. L’œuvre aurait été composée pour une école de jeunes filles londoniennes (où pour la Cour comme le suggère Christie), interprétée par les élèves elles-mêmes sauf pour les rôles de solistes confiés à des intervenants extérieurs. Les danses y sont assez nombreuses, justifiées par la fonction de maître ballet de Josias Priest, directeur du pensionnat. Décor minimaliste et formes courtes, orchestre restreint au service d’une tragédie terrible alternant les moments de pure comédie avec une poésie et une intensité douloureuse rare, le tout est d’une concision magistrale qui a inspiré les plus grands compositeurs et dont la modernité stupéfie.
Le prologue de l’œuvre est perdu, mais est ici remplacé par une sélection de poèmes (Écho et Narcisse de Ted Hughes, The Waste Land de T. S. Eliot et Il aimerait avoir les voiles des cieux de W. B. Yeats) superbement déclamés par la comédienne Fiona Shaw. Il s’agit, nous explique le metteur en scène Deborah Warner, toujours dans le bonus, de nous aider à comprendre notamment le premier acte où Didon est déjà en deuil de son premier époux et d’essayer de restituer l’esprit du prologue disparu, selon les règles du genre, tout en faisant écho à la tragédie à venir.
L’opéra ouvre ensuite sur l’entrée des écolières dans une cour où s’élève une scène minimaliste, mais suffisamment évocatrice pour permettre ensuite au spectacle de véhiculer un maximum de poésie.
Cette mise en scène a été conçue en accord avec un chef d’orchestre, William Christie, habitué à fonctionner en équipe. Le travail de recherche en amont est tangible, tout en restant discret. Par ailleurs, le fondateur des Arts Florissants est rodé aux productions de cet opéra qu’il semble chérir tout particulièrement. L’orchestre dont on ne connaît pas la composition originale a été additionné, « pour la couleur » selon ses propres dires, de flûtes, hautbois, basson et théorbe. Le résultat est étincelant et témoigne du sérieux et de l’évidence auxquels le maître nous a accoutumés.
Quant à la distribution, elle est très homogène. La sobre et délicate Malena Ernman interprète avec beaucoup de finesse le rôle de Didon. Voici une vraie tragédienne : poignante dans la mort de la reine, toute de retenue et de pénétration avec un timbre sombre qui confère une trouble androgynie à la reine de Carthage. Dans le rôle un peu court mais où l’on retient sa prestation, Christopher Maltman se montre un Énée juste et convaincant, impeccable. La voix est ample, le timbre séduisant. La Magicienne, elle, fascine en la personne de la surprenante Hilary Summers, excessive dans son jeu mais magistrale par le chant. On se demande sans cesse si on n’a pas affaire à un travesti et l’ambiguïté est ici bienvenue. Le reste de la distribution est à l’avenant et fait de cette édition une superbe production qui met l’eau à la bouche… On attend avec impatience les prochains titres : Carmen et L’Étoile.
Catherine Jordy