Depuis l’an 2000, la maison de disques Naïve s’est donné pour objectif « d’enregistrer la vaste collection de manuscrits autographes vivaldiens conservée à la Bibliothèque nationale universitaire de Turin ». En cette rentrée, elle revient sur la scène discographique en proposant une nouvelle interprétation des deux Gloria du maître vénitien, les RV 589 et RV 588.
Composés aux alentours de 1715 dans le cadre de sa fonction de maître de violon à la Pietà, institution de charité pour jeunes orphelines, ces œuvres religieuses sont très influencées par ce qu’a pu développer l’opéra depuis le début du 17e siècle d’autant que le premier opus lyrique du prete rosso, Ottone in Alba, date de 1713. Les arias da capo abondent même si Vivaldi, comme marqué par le passé, juxtapose l’ancien style polyphonique (dans les splendides « Qui tollis peccata mundi » par exemple), la fameuse prima pratica définie par Monteverdi, et la mélodie accompagnée ou secunda pratica.
Naïve a confié cette nouvelle édition à l’un des plus grands spécialistes de la musique italienne du 18e siècle, le chef d’orchestre Rinaldo Alessandrini qui dans le texte d’accompagnement met bien en avant la dimension dramatique de la musique sacrée vivaldienne : ces deux Gloria sont de la « vraie musique de théâtre sur un texte latin ». Et pour cause, d’un verset à l’autre, on passe du recueillement à la jubilation ce qui constitue en soi une difficulté d’interprétation. Mais ses choix de tempi et de dynamiques rendent les contrastes saisissants de justesse : aux trompettes tonitruantes du brillant « Gloria in excelsis Deo » répond le violon solo très lyrique de l’intimiste « Domine Deus Rex Coelestis ». Les musiciens, instrumentistes et chanteurs sont en parfaite osmose à tel point que dans le « Domine Deus Agnus Dei » on assiste à un véritable dialogue entre la voix et le hautbois ce qui renforce l’aspect concertant des deux œuvres.
L’orchestre du Concerto Italiano évolue très naturellement dans un répertoire qui lui est familier. On perçoit une grande sensibilité dans les versets dont l’effectif instrumental est réduit (le violon dans le « Qui sedes ad dexteram Patris » et le hautbois dans le Domine Deus Agnus Dei »).
Quant aux chanteurs, leurs interventions sont tout à fait honorables : issues du chœur du Concerto Italiano, les voix des sopranos Anna Simboli et Alena Dantcheva sont claires et aériennes. Mais on remarque surtout le timbre chaud de la grande contralto italienne Sara Mingardo. Sa technique assurée se met aisément au service d’un air aussi virtuose que le « Qui sedes ad dexteram Patris ». La cantatrice, qui interprète pas moins de cinq airs, fait preuve d’un grand sens dramatique : ainsi, dans le très pathétique « Domine Deus Agnus Dei », le phrasé est-il très perceptible et les silences pleins de tension.
Voilà le genre d’interprétation soignée et novatrice qui justifie pleinement l’entreprise de Naive. A l’écoute de ces deux Gloria, on se dit qu’il est urgent de redécouvrir l’ensemble du corpus vivaldien. A bon entendeur !
Anne Le Nabour