Bel opus pour Joyce DiDonato, signant ici son premier véritable récital studio. Le présent disque concrétise bien des utilités pour la cantatrice américaine. Judicieuse carte de visite, passage obligé du récital haendélien (on attendra sans surprise, les disques Mozart et sans doute Bel Canto), le Birthday du Caro Sassone tombant à pic. Ce disque enregistré quasi dans les conditions du live à Bruxelles, fut le point de départ également d’une tournée triomphale dont le concept est désormais bien rôdé par certaines consœurs.
Nous avions quitté Joyce à Pesaro où son récital Malibran fut, avec celui de son compatriote le ténor Lawrence Brownlee, les deux véritables évènements de cette édition du ROF. L’écoute attentive du présent disque, nous confirme en préambule, notre impression. Quitte à faire hurler au loup, nous entendons encore et toujours une seconde soprano bien plus qu’une véritable mezzo-soprano. Tant dans le timbre, que dans l’architecture de la tessiture mais encore bien davantage dans les passages de la voix (si habilement négociés soient-ils), Joyce nous apparaît comme la merveilleuse construction, patiente et acharnée, d’un travail technique savamment élaboré et choisi. Cela n’est en rien péjoratif et ne retire absolument rien à cette immense professionnelle méritant amplement les nombreux triomphes qu’elle récolte désormais internationalement et encore moins, sa médiatisation accrue lors des trois dernière saisons. Néanmoins, il sera intéressant d’écouter les différentes réactions quand elle s’emparera prochainement des rôles sopranisant d’Elena (La Donna del Lago pour Paris au côté de Juan Diego Florez) ou encore le rôle titre de Maria Stuarda dans la version «Malibran» pour le Ring Tudor du Met, alors que pour nous, il ne s’agira que d’un retour à sa véritable tessiture.
Pour revenir au présent disque, Joyce dans sa générosité coutumière, nous offre un très plantureux programme dont l’axe se veut être le concept d’Aria di Furore. Elle équilibre cela, afin de varier l’accent et éviter toute lassitude, avec d’autres pages plus intimistes. Quelques titres vendeurs comme des extraits de Giulio Cesare, Semele ou plus encore, l’incontournable Ariodante, trouvent leur nécessité, quitte à affronter directement les comparaisons. Dans l’imposante discothèque des récitals haendéliens, cet enregistrement se classera plus qu’honorablement. Il enchantera les aficionados de la première heure, mais, il est également à recommander à ceux qui désirent se rendre compte non seulement de la personnalité vocale, mais également, expressive de la cantatrice. Enfin, le programme mérite le détour. Rousset et sa phalange remplissent à satiété leur ouvrage, leur besogne avons-nous été tenté d’écrire. Cela vaut surtout par une comparaison avec lui-même tant les souvenirs que nous conservons du musicien, nous rappelaient une toute autre présence, une toute autre imagination. Finalement, n’est ce pas dans le répertoire français que nous l’apprécions le plus ? Ici, rien de rédhibitoire, mais, le souci de mettre sa soliste en valeur ne l’a-t-il pas conduit à trop s’effacer ?
Et notre Joyce ? Grande forme vocale, une voix d’une santé à toute épreuve, un contrôle grammatical et syntaxique exemplaire de son dossier haendélien. D’où nous vient cette petite sensation de malaise nous rappelant le vieux diction : «Qui trop embrasse mal étreint » ? Il nous faut d’abord composer avec le seul canal auditif pour apprécier ce travail, hors, Joyce possède beaucoup de maléfices sur scène et visuellement, arrive par un engagement de tous les instants, à vaincre les limitations d’un timbre et d’une couleur de voix n’arrivant pas une seconde à la cheville sensuelle d’une Garanca (pour ne citer que sa plus directe «rivale» et qui pour nous, est une mezzo par nature…). Joyce se croit dès lors obligée pour compenser, de surjouer et surcharger bien souvent, notamment dans le pathos ou le travail de relief du texte par des effets de loupe assez indigestes. Entendons-nous bien, la plupart du temps, la base de ce chant est remarquablement réussie, ligne, scrupules de la chanteuse et de la musicienne, respect des nuances,… Un mot nous revient souvent en tête : une certaine scolarité ? Scolarité appliquée, terriblement efficace transformant les plus doués élèves américains en véritable navire de guerre sur le marché européen et que bien des structures feraient bien de copier ! Mais, dans ce programme où l’école italienne est si présente, nous ne ressentons malheureusement aucune émotion. Point d’émotion purement vocale (et ce type de programme ne doit certainement pas la renier) même devant la performance appliquée de virtuose dont la colorature nous apparaît une fois encore acquise et non point innée, devant ce grave soudé et répondant ma foi, fort bien mais ne possédant ni virilité, ni sensualité. L’émotion sera également absente du côté de la narratrice où cette impression de surcharge atteint son comble. Dans le paysage actuel, Joyce DiDonato se définit comme une valeur sûre, intelligente, dont la gestion de la carrière atteint sur scène et en coulisses, la parfaite mais parfois trop calculée précision d’un logiciel « microsoftien ». C’est avec joie que nous irons à nouveau dès que possible, l’encourager sur scène. Néanmoins, au disque, pour notre dose de Haendel italien, nous craignons inconsciemment, un retour à une Von Otter pour une autre optique musicale, une Larmore n’étant sans doute pas à une bourde technique près, mais d’une toute autre humanité, une Horne quitte à se retrouver entre hommes ou enfin, et en assurant un indéfendable passéisme, nous continuerons à chérir l’exploratrice Janet Baker, préhistorique certes, mais capable dans les deux premier mots du « Scherza infida » de nous faire basculer dans un abîme d’émotions.
Philippe PONTHIR