La firme Dynamic, dans son louable effort d’être présente aux résurrections d’opéras peu exécutés ou carrément oubliés, nous propose à présent La Conquista di Granata, opéra italien d’un compositeur espagnol faisant ses premières armes avant de se spécialiser dans la zarzuela ! La confrontation avec les « véritables » opéras italiens de compositeurs de la Péninsule est inévitable et pour mieux approfondir le style d’Arrieta nous lui consacrons un article à part, dans notre rubrique actualité.
Afin de mener au mieux cette résurrection, le Teatro Real a rassemblé une belle distribution homogène, dont tous les interprètent brillent par leur qualité de timbre et de chant. La Princesse Zulema bénéficie du timbre charnu et velouté de Mariola Cantarero. Son aigu en force frise parfois l’étranglement, mais se montre superbe lorsqu’il est piano, l’interprète maîtrisant admirablement le chant en mezza voce, comme dans l’air ouvrant l’acte II, dans lequel Arrieta se révèle particulièrement inspiré.
Le timbre du ténor José Bros, l’interprète le plus connu de la distribution, peut paraître léger mais ne manque pas d’épaisseur en fait. Son aigu claironnant peine un peu parfois, mais demeure sonore et même vaillant. Le ténor y va de sa ferveur toute latine, coups de glotte au vent, mais ne peut faire vibrer la musique plus que n’a pu le concevoir Arrieta ! On remarque toutefois son élégante cabalette où le style verdien se voit tempéré par une grace donizettienne à « l’élan mesuré » bien dans la manière du grand Bergamasque.
Ana Ibarra est une reine d’Espagne décidée qui, de son timbre velouté, assume la virtuosité de l’écriture vocale du personnage, malgré des aigus ayant parfois tendance à s’étrangler. Alastair Miles, interprète habitué des opéras italiens romantiques, campe un Muley-Hassem efficace, au timbre noir et rocailleux.
Ángel Ódena prête un beau timbre uni, sombre et chaleureux au rôle de baryton-basse de Lara. L’efficacité des interprètes des rôles secondaires rejoint celle des chœurs et de l’orchestre de l’Opéra de Madrid dont on apprécie les belles sonorités. Le chef Jesús López Cobos, avec un instinct sûr et un métier certain, fait tout ce qu’il peut afin de faire vibrer une musique pas toujours inspirée (et seule responsable de la note attribuée à cette critique).
La belle prestation des interprètes et une certaine « fonctionnalité » de la musique, ainsi que le plaisir probable de découvrir une facette méconnue d’un auteur espagnol reconnu, font que le public accueille chaleureusement l’exécution. Un peu comme si, en France, on redécouvrait un opera seria aux côtés des partitions d’opérettes bien connues et toujours appréciées de Robert Planquette, d’Edmond Audran, de Louis Varney ou de Charles Lecoq, compositeurs respectifs des bien-aimées Les Cloches de Corneville, La Mascotte, Les Mousquetaires au couvent et La Fille de Madame Angot.
Pour le fervent amateur de melodramma, l’opéra italien des années 1830-60, La Conquista di Granata sera à considérer une fois connus et appréciés ses dignes et talentueux contemporains, tels la Jone d’Errico Petrella, L’Ebreo de Giuseppe Apolloni ou Il Domino nero de Lauro Rossi…
Yonel Buldrini