Habituée du répertoire Vivaldi (elle est de quasi toutes les intégrales discographiques récemment parues chez Naïve du maître vénitien1), la soprano argentine Verónica Cangemi se lance ici dans un récital extrêmement intéressant. Le programme est à lui seul fort alléchant, mettant en rapport des œuvres que l’on ne penserait pas forcément à mettre en regard (comme le titre de l’album l’indique, de Venise du XVIIe siècle à l’Argentine du XXe), des raretés absolues de l’un et l’autre répertoire côtoyant quelques pages plus célèbres (« Lascia ch’io pianga » de Rinaldo, la 5e des Bachianas brasileiras d’Heitor Villa-Lobos par exemple). « Ne me console pas » de Piazzolla (1921-1992) fait ainsi retentir comme un écho au « Doux tourment » du neuvième livre des madrigaux de Monteverdi (1567-1643), écho thématique redoublé d’une réelle résonance esthétique que l’ensemble instrumental ici utilisé accentue encore. De même, mais en sens inverse cette fois, Carlos Guastavino (1912-2000) et Riccardo Broschi (1698-1756) se répondent-ils à travers les siècle et par-delà de styles ici fort différents.
L’exercice pourrait sembler un rien spécieux si les artistes ici réunis ne trouvaient chaque fois le ton juste et savaient, par leur investissement, par leur ardeur, susciter d’emblée l’adhésion. Si l’on reste un peu sur sa faim, c’est que la soprano semble ici nettement fatiguée. Méforme passagère (ce que nous espérons, bien entendu) ? Le fait est que le timbre se voile parfois (étranges imperfections d’émission dans le Caccini), la voix perdant en éclat comme en tenue (légères délicatesses avec l’intonation, perte de timbre dans les vocalises – certes parmi les plus difficiles du répertoire parfois, comme dans le Caton de Vivaldi). La technicienne qu’est Verónica Cangemi ne se laisse bien entendu jamais réellement déborder par les exigences des pages qu’elle a choisi d’interpréter, et quelques aigus dardés avec aisance (Vivaldi, Broschi, Porpora entre autres) viennent compenser avec insolence ces quelques pailles (à l’inverse, les graves, eux, semblent plus imprécis, l’artiste se refusant à poitriner, comme devaient très certainement le faire les créatrices de ces rôles pourtant !). On en vient toutefois à se dire que l’on aimerait entendre davantage cette grande artiste dans le répertoire de son pays d’origine, répertoire dont le style et les accents – pour ne rien dire de la langue – lui vont assurément aussi bien que le baroque !
David Fournier
(1) Il ne faudrait toutefois pas limiter l’artiste à ses intégrales d’opéras de Vivaldi chez Naïve : mentionnons par exemple Alessandro Scarlatti (Griselda, dir. René Jacobs, HM), Gluck (L’Innocenza giustificata, dir. Christopher Moulds, Deutsche Harmonia Mundi ou encore Orfeo ed Euridice, dir. René Jacobs, HM), Haendel (Fernando, dir. Alan Curtis, Virgin), Mozart (Lucio Silla, dir. Tomas Netopil, Dynamic pour le CD, ou DGG pour le DVD) et jusqu’à l’inattendu Philidor et son Carmen Saeculare (dir. Jean-Claude Malgoire, Naxos)…