Antonio Carlos Gomez naît le 11 juillet 1836, en pleine période romantique, en même temps que le douloureux Belisario de Donizetti, et disparaît en 1896, alors que voient le jour -en deux mois seulement !- La Bohème de Giacomo Puccini, Zanetto de Pietro Mascagni, Chatterton de Ruggero Leoncavallo et Andrea Chénier de Umberto Giordano. Sa courbe de composition s’étend sur la trentaine d’années allant de 1861 à 1891, dans lesquelles il sème huit opéras, dont son premier grand succès Il Guarany (1870), son chef-d’œuvre Fosca (1873), et son dernier ouvrage lyrique, ce Colombo précisément créé en 1891. Bien que Brésilien, Gomes s’inscrit dans l’histoire de l’opéra italien, dont il est fortement imprégné depuis que l’Empereur de son pays lui donna une bourse pour se perfectionner à Milan. Maître d’une mélodie caressante à la chaleur tout italienne, il intégrera pourtant à sa musique des rythmes un peu « sauvages » de son pays, illustrant cette période mal connue de l’opéra italien s’étendant de la maturité de Verdi à l’éclosion de la « Giovane Scuola ».
Les ouvrages musicaux dédiés à Christophe Colomb abondent, le travestissant parfois en espagnol : Cristobal Colón, ou même en anglais et allemand latinisés : Christopher Colombus et Kolombus ! En 1828, Gênes, la ville natale de Colomb inaugure son fameux et splendide Teatro Carlo Felice en passant commande à rien moins que trois compositeurs estimés : Gaetano Donizetti (Alina regina di Golconda), Vincenzo Bellini (Bianca e Fernando) et Francesco Morlacchi qui propose donc un Colombo. Pour demeurer parmi les compositeurs renommés, on trouve, dès l’année suivante, le Colombo de Luigi Ricci, puis le Cristoforo Colombo de Giovanni Bottesini, en 1847, et enfin le Cristoforo Colombo du baron Alberto Franchetti, en 1892, fêtant l’anniversaire de la découverte de ce nouveau continent qui devait prendre le prénom d’un autre illustre Italien, Amerigo Vespucci. Ce dernier opéra, tiré de son sommeil en 1992, nous est aujourd’hui connu, et il en va de même pour la singulière « cantata scenica » Colombo ossia La Scoperta dell’America de Gaetano Donizetti, composée en 1838. Par son genre d’ouvrage destiné à être représenté sur scène, on peut la rapprocher de celle de Gomes créée cinquante années plus tard et il est curieux de constater comme on pouvait, d’une manière différemment efficace, mettre un même sujet en musique car, cette fois, place aux cavatines mélancoliques et cabalette dramatique !
En ce qui concerne l’ouvrage de Gomes, on note l’évolution dans la conduite des motifs, dans l’utilisation des instruments, tenant compte de la couleur du temps. Le Prélude posé rappelle, par exemple, celui du tableau de la prison dans Don Carlo, puis, après quelques interventions du chœur, il fait entendre un motif orchestral un peu menaçant et interrogateur, à la Guarany. On entend un écho de La Gioconda dans le chœur « Pescator, pescator » et l’on est surpris de découvrir dans l’Introduzione de la « Parte Quarta », un air de danse à ce point couleur locale espagnole (avec castagnettes !) sur le même accompagnement que la célèbre romance populaire de La Paloma.
Gomes alterne habilement des scènes brillantes à la cour, et des tableaux plus intimes où l’on voit Cristoforo Colombo en proie au doute et à des « tempêtes sous un crâne », comme dirait Victor Hugo, voire de réelles tempêtes maritimes. Le Finale, justement intitulé Inno al Nuovo Mondo, déploie une certaine grandiloquence de bon ton, pour ainsi dire, grâce à l’Art de Gomes, et de toute façon bienvenue pour traduire l’apothéose du grand navigateur génois.
Alexandru Agache, de sa voix veloutée et chaleureuse, avec quelque chose de somptueux et de fragile à la Siepi, est un noble et humain Cristoforo Colombo.
La reine Isabella de Rossana Potenza offre un beau timbre éclatant qui, même s’il s’étrangle un peu parfois dans l’aigu, rend l’aisance, le brillant et la générosité d’une reine croyant en l’entreprise de Colombo.
Gustavo Porta prête au roi d’Espagne sa belle voix de ténor, solide mais souple et chaude, rappelant celle d‘Ottavio Garaventa. On a même la surprise de l’entendre dominer joliment chœurs, solistes et orchestre lors de la dernière note chantée de l’ouvrage, en conclusion de l’hymne final.
Les parties un peu en retrait sont également tenues avec une belle efficacité, et il en va de même pour la prestation du « Coro del Teatro Bellini ».
Le chef Silvio Barbato démontre un enthousiasme brillant, inhérent à un sujet commémoratif, mais évite la grandiloquence ou une pompe trop clinquante. On retrouve avec plaisir les sonorités rondes et chaleureuses d’un orchestre bien-aimé des collectionneurs de disques pirates, capté dans l’acoustique idéale de ce Teatro Bellini de Catane, dont Beniamino Gigli disait qu’il était le plus beau du monde.
Yonel Buldrini