Voici un cas bien connu de rivalité entre deux compositeurs qui, il faut bien le dire, ne jette pas la lumière la plus flatteuse sur un Puccini assez peu scrupuleux. Selon plusieurs indices concordants, Ruggero Leoncavallo, travaille au début des années 1890 pour l’éditeur Sonzogno à une adaptation du roman de Mürger, Scènes de la vie de Bohème qu’il réalise lui-même. Il s’en ouvre à Puccini, qui travaille lui pour l’éditeur Ricordi. Ni une, ni deux, Puccini lui chipe l’idée et va proposer sa propre adaptation du roman, aidé par les comparses Illica et Giacosa. Leoncavallo est furieux mais le mal est fait : l’œuvre de Puccini est créée en 1896, la sienne un an plus tard. La seule satisfaction de Leoncavallo sera que sa première à lui, le 6 mai 1897 à Venise, aura un succès immédiat plus retentissant que celle de Puccini. Mais on sait ce qu’il adviendra des deux œuvres ensuite. Dans l’opéra de Leoncavallo, Marcello est ténor et Rodolfo baryton mais la trame est bien sûr très proche de celle que l’on connaît (grâce à l’autre !). Leoncavallo essaiera bien de proposer une révision inversant les tessitures quelques années plus tard, en vain : sa Bohème sombre dans l’oubli.
Si l’indélicat Puccini lui a bien volé son idée, les deux œuvres sont très différentes musicalement. Voici donc un extrait de la fin de l’acte III : Mimi, qui a choisi de se faire entretenir par son vicomte, revient, dans la masure de Marcello où vivent encore les comparses, écoutant la vérité de son cœur et espérant se réconcilier avec Rodolfo. Ce dernier la chasse brutalement, tandis que Marcello crie aussi contre elle, voyant en Mimi la responsable du départ de sa Musetta.