Les ors de l’Opéra de Rennes résonnent rarement d’accents verdiens, aussi les spectateurs découvrent-ils avec gourmandise le quinzième ouvrage du compositeur qui vibre déjà des problématiques qui feront le succès de ses œuvres postérieures : drame de l’amour impossible, conflit social doublé d’un affrontement générationnel où père et fils s’opposent, Luisa Miller est portée par l’Orchestre National des Pays de la Loire et le Chœur d’Angers Nantes Opéra sous la direction intense Pietro Mianiti qui déploient une palette onctueuse, depuis les soli délicats proposés par les vents, jusqu’au déferlement sonore des tutti.
Guy Montavon renonce au folklore tyrolien pour camper l’histoire dans un univers de noblesse décatie et de faux semblants à l’image des panneaux mobiles semi transparents où Wurm apparaît et disparaît comme un cauchemar pour dicter à Luisa la lettre qui sauvera son père mais signera la perte de l’homme qu’elle aime.
Le scénographe Éric Chevalier est également en charge des costumes qui se trouvent investis d’une grande importance dans le propos. L’évolution psychologique de Luisa, par exemple, est perceptible dans les changements de sa mise, depuis une robe à panier à un ensemble imprimé tournesol et des baskets assez peu seyants mais indéniablement modernes.
Les tenues XIXe sont celles des aristocrates et des tenants du passé. Empoussiérées – au sens propres – elles donnent immédiatement à voir l’anachronisme d’une pensée sclérosée. La métaphore est filée avec humour par l’intervention de serviteurs perclus d’arthrite ou encore de la Duchesse Federica qui se déplace sur deux cannes, telle une araignée.
Les couleurs font également sens : au rouge des passions malsaines s’oppose le jaune solaire de l’amour vrai. L’amour sacrifié est représenté par un cerf mort sur lequel s’appuie l’héroïne… Bref, les signifiants limpides – voire démonstratifs – ne manquent pas. Ils sont malheureusement battus en brèche par de troublantes maladresses : Rodolfo s’empare des béquilles de la duchesse et refuse de les lui rendre. Se jouer d’une personne en situation de handicap, voilà qui n’est pas à son honneur.
De même, installer Walter et Wurm autour d’un plateau d’échec pour signifier leur machiavélisme est une image parlante. En revanche, pourquoi contredire le livret de manière si inutile en faisant de Luisa celle qui donne le poison ? Il était déjà limpide que la jeune femme n’est pas qu’une victime passive mais une personnalité forte et noble qui choisit son destin.
Marta Torbidoni lui prête son soprano opulent qui attaque les sons au centre de la voix. Sa justesse, jamais prise en défaut, est la colonne vertébrale du quatuor a cappella si difficile du second acte qui met en difficulté les autres participants. Le soutien, impeccable, lui permet des vocalises piquées tout en légèreté au premier acte autant qu’un legato et des graves poitrinés à l’autorité souveraine dans la seconde partie de la soirée. Elle allie ces superbes qualités à une présence scénique sans afféteries, toute de noblesse retenue qui rend crédible jusqu’à son aspiration à la mort-délivrance dans une extase quasi mystique.
Rodolfo, son promis, est incarné par Gianluca Terranova, ténor au timbre idéalement italien, aux beaux médiums mais qui s’avère lourdement handicapé par des aigus déficients, cassant à répétition.
© Lutz Edelhoff
La narration penche du coté de la noirceur avec le Wurm méphistophélique d’Alessio Cacciamani dont la voix sensuelle longue en souffle jouit d’une projection puissante, d’une diction impeccable.
Deux contraltos sont également prévues dans la distribution. En réalité Lucie Roche, Federica toute en dignité, est mezzo ; son timbre un peu nasal s’enorgueillit d’une émission souple aux graves ciselés et sonores. Plus surprenant, Marie-Bénédicte Souquet, artiste en résidence à Angers-Nantes Opéra, interprète le personnage de Laura. A défaut de dramatisme, son soprano délicat apporte une pureté compatissante tout à fait touchante au rôle.
Originalité de la pièce, ici, la figure paternelle est double : Miller, est le bon père, incarné par Federico Longhi, seul artiste issu de la production crée à Erfurt la saison passée. Son baryton clair mais bien campé offre une lumière aimante qui contraste de manière très pertinente avec la basse sombre et mate de l’excellent Cristian Saitta, implacable comte Walter au phrasé tout en musicalité et aux messa di voce vénéneux.
L’un comme l’autre assistent impuissants à la fin de leurs enfants qui passent de vie à trépas, debout, extatiques, sous une pluie de pétales.
Prochaines représentations à l’Opéra de Rennes les 23 et 25 mars ainsi qu’au Théâtre Graslin de Nantes les 7, 9, 11 et 13 avril.