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2 janvier 1843 : Wagner révélé à lui-même

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2 janvier 2023

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Des coups d’essai négligeables. Voilà comment Richard Wagner considérera ses deux premiers opéras (Die Feen et Das Liebesverbot). Le troisième, Rienzi, occupera une place à part, mais à peine plus positive, dans son esprit. C’est avec son quatrième opus, qu’il écrit en même temps que Rienzi dont il diffère pourtant beaucoup, que le compositeur compose en quelque sorte l’ouverture de sa « vraie » destinée musicale.

Pourtant, ce Vaisseau fantôme (ou plutôt ce Hollandais volant selon une traduction plus littérale du titre original allemand, Der fliegende Holländer) serait-il né sans l’expérimentation par Wagner et sa femme Minna de terribles tempêtes, bien réelles celles-ci, sur les mers de leur exil ?

Tout commence à Königsberg, où le jeune compositeur de 23 ans atterrit en 1836 dans l’espoir d’obtenir un poste de directeur de l’opéra local. Il y avait suivi Minna Planner, jeune actrice qu’il épousera dans la foulée après avoir quitté Magdebourg, où il ne s’épanouissait pas et où on le regardait de travers, tout directeur musical de l’opéra qu’il était. Mais à Königsberg, il ne récolte que des dettes, les premières d’une longue série qui générera des armées de créanciers aux trousses des poches percées dont Wagner se fera toujours une spécialité. L’errance – premier point commun avec le Hollandais – devient donc une habitude qui attend Richard et Minna pour les décennies qui viennent, avec quelques périodes d’accalmie. Le couple fuit donc rapidement Königsberg pour Riga où Wagner obtient enfin un poste à l’opéra. Le voici un peu plus tranquille, malgré une très grosse crise conjugale, Minna le quittant temporairement pour un autre homme sans doute moins fauché mais qui la laisse bien vite tomber.

C’est sans doute durant ces deux grosses années lettones que Wagner prend connaissance de la légende d’un étrange personnage, moitié-marin, moitié-fantôme, après la lecture d’une œuvre de Heinrich Heine, Mémoires de Monsieur de Schnabelewopski.  Celle-ci reprend une vieille histoire écrite à la fin du siècle précédent sur la base d’une de ces superstitions que les marins aiment à se raconter au milieu des haubans et qui narre l’apparition fantomatique et inopinée au milieu des flots d’un navire hollandais qui avait pourtant coulé au milieu d’une tempête dantesque. Et gare à qui croise sa route ! Légende devenue si populaire qu’elle irrigue nombre d’histoires jusqu’aux Pirates des Caraïbes

Ce conte sera couché par écrit au début des années 1820 sous forme de feuilleton dans les journaux anglais et Heine s’en inspirera donc dix ans plus tard. Il tire de la sombre histoire marine une évocation non moins romantique de l’amour maudit entre ce fantôme de marin, condamné à errer sur les mers jusqu’à ce qu’il trouve l’amour d’une femme, et celle qui le libérera de sa malédiction au prix de sa vie. L’ouvrage marque Wagner, mais il ne semble pas qu’il pense immédiatement à en tirer une nouvelle œuvre. C’est que les dettes les rattrapent et il faut à nouveau et avant toute chose, s’enfuir.

Cet énième départ se fait en catastrophe : comme on a privé le couple de ses passeports en raison des dettes qu’il a contractées, il fuit en cachette  vers le port de Pillau (actuelle Baltiïsk, dans l’enclave russe de Kaliningrad). Là, il embarque clandestinement sur un navire de commerce, le Thétis, qui fait voile vers l’Angleterre. Mais le voyage ne sera pas de tout repos. Une première tempête au large des côtes norvégiennes conduit le Thétis à s’abriter dans le port de Sandvike. Si ce nom vous dit quelque chose, c’est que vous connaissez assez le futur Vaisseau fantôme pour savoir que c’est là que le navire de Daland s’abrite au début de l’opéra, et pour les mêmes raisons… Wagner y entend et y note des chants de marins sur le port et, paraît-il, entend également le mot « tjenta » (le service) qui lui inspirera le nom de sa future héroïne, Senta.

Une fois la tempête passée, le Thétis repart pour Londres, mais affronte bien vite un grain encore plus violent que le premier. Les Wagner ayant été découverts et plutôt mal accueillis par l’équipage, d’autant qu’ils ont avec eux leur énorme chien, Robber, un terre-neuve des plus encombrants, on peut aisément imaginer que la conjonction des éléments et de l’hostilité alentour a rendu le trajet particulièrement pénible.

Arrivés à bon port, cette fois, les Wagner partent pour Paris, Giacomo Meyerbeer ayant écrit à l’intention de la direction de l’Opéra, une lettre de recommandation pour son jeune confrère. Le couple désargenté s’installe d’abord dans une maison de Meudon, plein d’un espoir qui va vite déchanter. Wagner n’est engagé nulle part et ils vont vivre très chichement de transcriptions de partitions de Donizetti pour l’éditeur Schlesinger.

Pour s’occuper malgré tout, Wagner va au concert, découvre Berlioz et écrit son opéra Rienzi. Parallèlement, toutes ces péripéties ont fini par lui souffler l’idée d’un livret autour de cette fameuse légende du Hollandais, qui lui revient bien vite après son expérience maritime. Le compositeur écrit donc le texte, comme il le fait et le fera toujours, mais en français. Son objectif est en effet de faire monter ses futures partitions à l’Opéra de Paris. Mais personne ne s’intéresse à ce crève-la-faim ascétique, même si l’idée plaît au directeur de l’Opéra, Léon Pillet. L’idée seulement. Pour le reste, il compte plutôt sur Paul Foucher (beau-père de Victor Hugo) et sur un autre compositeur Louis-Philippe Dietsch, chef de chœur à l’Opéra, pour la partition. Wagner se résout donc à vendre son argument pour 500 francs. On le sait, Dietsch n’en tirera aucun bénéfice car sa partition sera rapidement retirée de l’affiche et c’est d’ailleurs le même Dietsch, devenu chef principal de l’Opéra, qui dirigera Tannhaüser à Paris dix-neuf ans plus tard, tellement mal que Wagner le surnommera « la misérable andouille »… (voir notre article à ce sujet)

S’il vend le scénario de base, Wagner ne cesse pourtant pas d’écrire le livret intégral, qu’il termine au printemps 1841. Il compose la partition parallèlement et la termine en novembre, juste après son installation dans un appartement de la rue Jacob à Paris, par la fameuse ouverture, véritable tableau symphonique des fracassantes tempêtes de son voyage baltique. Comme personne ne veut de ses œuvres dans la capitale française, il a envoyé son Rienzi à Dresde, où le Théâtre royal accepte de le monter. Wagner fait donc le pari qu’il en ira de même pour son nouveau Fliegende Holländer, déjà rejeté par d’autres opéras allemands, et voici le couple reparti l’année suivante, pour un voyage enfin plus serein.

Dresde sera en effet un havre pour les Wagner, pendant près de 6 ans, notamment en raison des dons de chef d’orchestre de Richard, qui y font merveille. La création, en trois actes, séparés du Fliegende Holländer au Théâtre royal saxon, voici 180 ans ce 2 janvier, ne se passe cependant pas sous les meilleurs auspices : la distribution n’a pas du tout les qualités vocales ou dramatiques requises par la partition, à l’exception de la créatrice du rôle de Senta, Wilhelmine Schröder-Devrient, pour qui il avait écrit le rôle travesti d’Adriano dans Rienzi et qui créera la Vénus de Tannhaüser moins de trois ans plus tard. S’il est accueilli fraîchement, l’opéra n’est pas un four abominable comme l’avait été Das Liebesverbot mais n’a rien non plus du triomphe de Rienzi, créé à peine 9 semaines auparavant. Pour autant, Wagner est nommé Kapellmeister dans la foulée.

La carrière de l’œuvre sera d’abord très chaotique, Wagner la retouchant – notamment la fin – en 1860, sans être reprise. C’est la décennie 1870 qui la consacrera partout dans le monde – et dans toutes les langues – pour ne plus jamais disparaître de l’affiche. On y trouve plusieurs des grands thèmes wagnériens : l’errance, on l’a dit, la malédiction, mais aussi le sacrifice, l’aveuglement amoureux, l’amour contrarié voire maudit ou encore la rédemption. Et bien sûr un peu d’autobiographie !

L’un des points culminants auxquels Wagner a très tôt pensé, et qu’il a composé parmi les premiers – et retouchée dès le soir de la première – est la ballade de Senta, à l’acte 2, que voici en 2004 par l’une des grandes wagnériennes de notre temps, Nina Stemme. L’occasion de rendre un double hommage, à la grande soprano suédoise qui fêtera en 2023 ses 60 ans, mais aussi à l’immense chef Seiji Ozawa, qui dirige ici l’orchestre du Wiener Staatsoper, et qu’on a vu fin novembre, hélas très diminué et très ému, à la tête du Saito Kinen dans un extrait de l’ouverture Egmont  retransmis en direct au spationaute japonais Koichi Wakata, dans la Station spatiale internationale.

 

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