C’est avec la Tosca imaginée en 2014 par Pierre Audi que s’est ouverte la nouvelle saison de l’Opéra national de Paris devant une salle en délire qui a réservé au salut final une ovation debout à l’ensemble de la distribution, superlative jusque dans les plus petits rôles, avec à sa tête un trio de chanteurs exceptionnels, sous la baguette d’un chef particulièrement inspiré. Sans cette disribution, qui aurait imaginé que cette production, reprise ce soir pour la quatrième fois, était capable à elle seule de susciter un tel enthousiasme ? Le spectacle de Pierre Audi s’articule autour d’une gigantesque croix de bois suspendue au-dessus du plateau au cours des actes deux et trois qui symbolise le poids du pouvoir religieux sur le destin des personnages. Posée sur le sol à l’acte un, elle délimite les deux parties d’une église bizarrement agencée. Côté cour, une grande fresque sur l’une des parois représente un entrelacs de corps féminins largement dénudés, parmi lesquels l’on peine à identifier « la Maddalena ». Côté jardin, quelques cierges allumés sont censés créer une atmosphère de recueillement. Le décor du deuxième acte qui est constitué d’un salon de style empire dans un hémicycle rouge vif, est sans doute le plus réussi. L’absence de fenêtre crée un huis-clos étouffant tout à fait adéquat, l’on se demande cependant d’où proviennent les échos quelque peu envahissants de la cantate qui se joue à l’étage inférieur. Le troisième acte se déroule dans un campement militaire en rase campagne, le dernier tableau, pour poétique qu’il soit, laisse le spectateur dubitatif : après la mort de Cavaradossi, Tosca se dirige lentement vers une lumière blanche et aveuglante située au fond de la scène, qui évoque sans doute l’au-delà, tandis que la musique suggère un dénouement plus brutal. La direction d’acteurs, minimaliste semble le plus souvent laisser les personnages livrés à eux-mêmes.
Tosca © Opéra national de Paris
Sur le plan musical en revanche on est à la fête. Gustavo Dudamel s’empare de cet ouvrage avec ferveur et un sens aigu du théâtre. Il parvient à souligner les nombreux détails que comporte cette partition luxuriante, sait doser les effets au cours du premier acte et mène le deuxième tambour battant jusqu’au meurtre de Scarpia. Seule la prière de Tosca constitue une pause élégiaque au milieu de cette course effrénée à l’abîme. Au début du III, « E lucevan le stelle » subira le même traitement, un air en suspens avant l’arrivée du drame avec l’irruption de Tosca et ses faux espoirs d’évasion puis celle du peloton d’exécution. A la fin de chaque entracte, c’est sous les accamations chaleureuses du public que le chef vénézuélien regagne son pupitre.
La distribution, on l’a dit, ne comporte aucune faille. Les seconds rôles sont impeccables et méritent d’être tous cités jusqu’au geôlier bien chantant de Christian Rodrigue Moungoungou. Renato Girolami est un sacristain pleutre qui prête à rire sans être caricatural, Michael Colvin campe avec justesse un Spoletta couard et obséquieux tandis que Philippe Rouillon reprend avec conviction le rôle de Sciarrone. Mentionnons enfin l’impeccable Angelotti de Sava Vemić dont la voix sombre et sonore ne passe pas inaperçue.
Le baron Scarpia compte parmi les rôles qui ont marqué la carrière de Bryn Terfel. Dès son apparition, tout vêtu de noir, il en impose par sa présence qui inspire la crainte. Il fait de son personnage un être froid, calculateur et sournois, à l’occasion colérique lorsque la situation lui échappe, qui jouit avec une cruauté non dissimulée de la détresse dans laquelle s’enfonce Tosca à chacune de ses menaces. Vocalement le baryton gallois s’est montré en pleine forme tout au long de la représentation. Le temps ne semble pas avoir de prise sur son organe, certes moins glorieux qu’en 2016 dans cette même production, mais qui répond sans faille à ses moindres intentions, une incarnation somme toute magistrale.
Tosca © Opéra national de Paris
Joseph Calleja en revanche a commencé la soirée avec prudence. On oubliera bien vite cependant les quelques graillons qui ont affecté son registrte aigu au début du premier acte pour vanter l’ampleur de cette voix généreuse au timbre solaire et l’intelligence de sa composition. Il affronte crânement les aigus de « Vittoria ! Vittoria! » au deuxième acte qu’il émet sans difficulté mais sans trop s’y attarder et propose un magnifique « E lucevan le stelle », tout en nuances et gorgé d’émotion qui montre que le ténor maltais est toujours l’un des meilleurs titulaires actuels du rôle de Cavaradossi. Il est heureux que l’Opéra de Paris s’intéresse enfin à ce grand artiste qui a fait ses débuts sur notre première scène il y a moins d’un an alors qu’il avait déjà derrière lui deux décennies d’une carrière glorieuse.
Tosca © Opéra national de Paris
Ce soir, c’était au tour de Saioa Hernández de faire ses débuts in loco à l’occasion de cette série de Tosca. Précédée d’une réputation flatteuse, la soprano espagnole, qui a étudié entre autres avec Renata Scotto et Montserrat Caballé, compte déjà à son actif un vaste répertoire de rôles réputés « lourds » tels Lady Macbeth, Abigaïlle ou la Léonore de La Force du destin. Le 7 décembre 2018, elle a ouvert la saison de la Scala en incarnant Odabella aux côtés de l’Attila d’Ildar Abradzakov. Le rôle de Tosca ne lui pose aucun problème : elle y déploie une voix ample et bien projetée, riche en harmoniques et homogène, couronnée par un aigu solide et tranchant, justement dans la phrase « io quella lama gli piantai nel cor » au troisième acte. Elle n’hésite pas à « poitriner » sans excès ses graves afin de produire un effet dramatique percutant notamment lors de son affrontement avec Scarpia au deux. Enfin elle conduit sa prière qu’elle charge d’émotion avec une ligne de chant élégante et nuancée. Théâtralement, elle se montre aussi convaincante face au Scarpia machiavélique de Terfel que dans son désespoir lorsqu’elle découvre la mort de son amant à la fin de l’ouvrage.
N’oublions pas pour finir les chœurs, bien préparés par Alessandro Di Stefano, qui livrent un Te deum grandiose à la fin du premier acte.