A voir ou revoir ce jeudi 25 août à minuit et quart sur France3.tv-Bretagne, France3.tv-PaysdeLoire puis (en replay via France.tv/Opéra), Madame Butterfly retransmise sur grands et petits écrans le 16 juin dernier, coproduit par Opéra de Rennes et Angers-Nantes-Opéra, en reprise des Maggio Musicale Fiorentino et Teatro Petruzilli de Bari. Avec une distributions différente pour les deux personnages principaux, notre compte-rendu de la représentation du 10 juin à Rennes (à lire ici) analyse avec sensibilité les grâces d’une écriture artistique où théâtre comme musique ont convié la simplicité pour une lecture juste du chef-d’œuvre puccinien.
Fabio Ceresa n’a pas voulu japoniser à l’excès sa mise en scène, à l’instar de Puccini dont le dessein était avant tout d’aller droit à l’âme du spectateur en accompagnant Cio-Cio-San dans sa tragédie. Pas « d’orientalisme de pacotille » non plus (reproche non fondé fait au compositeur), son Japon est simplifié : la maison de Butterfly, sans ornements, ni objets (Tiziano Santi), aux panneaux coulissants subtilement déplacés et ingénieusement éclairée (Fiammetta Baldisseri), son pont inachevé, nu sur l’océan. L’exotisme ici a des raffinements séculaires et vient marquer la psychologie de l’héroïne, les traditions familiales et culturelles de son univers : art de la calligraphie, costumes éblouissants (Tommaso Lagattolla), objets personnels de la jeune femme…Cette poétique théâtrale de la stylisation, avec ses lignes scénographiques nettes unies à un folklore mesuré et symbolique, reflète admirablement l’élégante prestesse, les gradations ailées, comme les déferlantes d’émotion de la partition.
Mais, au jeu de miroirs, la musique, d’une « apparente simplicité », est la première à refléter fidèlement la psyché de Cio-Cio-San. « La chose la plus compliquée est la simplicité, et la simplicité est une divinité que doivent célébrer tous les artistes qui croient » disait Puccini. Ce « génie des climats » et des transitions a entrelacé la musique orientale à son écriture musicale : gammes pentatoniques, enchaînements de modulations (arrivée de Butterfly), gamme par ton (maléfices, souvent avec gong et tutti), nombreuses mélodies traditionnelles japonaises fondues avec orchestration et chant occidentaux… Rudolf Piehlmayer porte ces idéaux artistiques dans sa direction musicale de l’Orchestre National des Pays de la Loire limpide et dense, sans pathos superflu, intensément lyrique dans les souffrances de Butterfly. Mieux, le maestro a su embarquer la totalité du plateau vocal dans cette même conception sonore. (Son sans image possible sur le podcast-France-Musique)
© Martin Argyrolo – ANO
Le test de l’image sans le son, (possible sur la vidéo-France-Musique) révèle une direction des chanteurs-acteurs remarquable, où chaque personnage parvient à une spontanéité, un naturel émotionnels étonnants. A ce sujet la Butterfly du soprano lyrique coréen Karah Son est exceptionnelle. Si elle a déjà beaucoup promené sa « piccina mogliettina » à travers le monde, son interprétation honore son professeur Mirella Freni. Cette voix ample et soyeuse, au souffle long, au registre aigu rayonnant, résiste à toutes les épreuves du vulnérable papillon, celles de sa partition comme celles de son amour illusoire. Angelo Villari brille en « vil yankee for ever » ; son Pinkerton a la suffisance et l’odieuse légèreté qu’engendre sa méconnaissance du monde japonais. Mais on est charmé par son timbre de ténor lyrique italien, son chant solide et solaire, qui mériterait toutefois un zeste de morbidezza supplémentaire. La bienveillante Suzuki du mezzo Manuela Custer émeut vivement, notamment dans sa prière-lamento aux graves entêtants, comme dans l’euphorique duo des fleurs au registre plus aigu. Enthousiasmant Marc Scoffoni, pertinent vocalement et scéniquement en Sharpless (littéralement « sans aspérités »), baryton au lyrisme vibrant de pitié envers la « povera Butterfly ».
L’équipe de comprimarii est tout aussi intéressante avec le Goro de Gregory Bonfatti, fripouille à souhait mais à l’excellent mordant vocal, le bonze ascétique d’Ugo Rabec, le Yamadori caricatural de Jiwon Song, Sophie Belloir Kate Pinkerton de luxe, et enfin le très efficace Chœur d’Angers-Nantes-Opéra.
Pour apporter une réponse aux questions de Ludovic Tézier sur les mises en scène actuelles, voilà une bouleversante Madame Butterfly contemporaine, qui ne désorientera ni jeunes ni vieux, dont la modernité consiste à revenir au texte et à la musique tout en l’interprétant – pour résumer Pierre-Emmanuel Rousseau, confrère de Fabio Ceresa.