Juan Diego Flórez a été nommé fin 2021 Directeur artistique du Festival Rossini de Pesaro. Il n’en continue pas moins son activité de chanteur et reprend même cette année un rôle fétiche, celui du Comte Ory, qu’il avait chanté in loco il y a déjà près de 20 ans ! Pourtant les retrouvailles ne sont pas tout à fait aussi festives qu’espéré.
La faute en revient essentiellement à la nouvelle production de Hugo de Ana, qui constitue certainement le point noir de la soirée. La précédente production datant de 2003 (déjà avec Juan Diego) puis reprise en 2009 n’était pas une réussite éclatante. Hugo de Ana, responsable à la fois de la mise en scène, des décors et des costumes, parvient à faire pire mais différemment. Pas de second degré ici mais de la bonne grosse gaudriole (au cas où le spectateur n’aurait pas compris le sous-texte crypto érotique, « Beauté sévère, laissez le faire, son bonheur ne vous coûte rien »). Ça tâte, palpe, paluche, tripote en permanence. Le décor est inspiré du Jardin des délices de Jérôme Bosch, avec ses structures bizarres et autres animaux géants. On ne niera pas une originalité esthétique, mais Hugo de Ana n’en fait rien : à croire que ces sculptures géantes ont été ajoutées après la finalisation de la mise en scène. Au premier acte nous sommes plongés dans une communauté de filles-fleurs sous la houlette d’un satyre (le Comte Ory), puis plus classiquement au château de la Comtesse à l’acte 2.
Juan Diego Flórez (Comte Ory) © ROF / Studio Amati Bacciardi
On note bien quelques gags plutôt réussis, comme ces Tables de la Loi exhibées par le Comte-Ermite pour impressionner son écuyer à l’acte 1, qui s’allument ou clignotent à point nommé, ou encore la scène de gym tonique interrompue par la tempête à l’acte 2. Mais le tout est englué dans un mouvement parasite perpétuel, ça gigote, se dandine, et on retrouve pêle-mêle sur scène des œufs de Pâques, des oiseaux géants, des dinosaures…
Juan Diego Flórez (Comte Ory) © ROF / Studio Amati Bacciardi
Heureusement le bilan musical est nettement plus réjouissant.
Diego Matheuz à tête de l’Orchestra Sinfonica Nazionale della RAI mène la barque à bon port. Les tempi sont vifs (parfois trop pour permettre une vraie intelligibilité du texte chez certains chanteurs) et les ensembles bien réglés. Manque cependant un soyeux dans les moments plus poétiques et ce grain de folie consubstantiel au Rossini comique.
Mais revenons au rôle-titre et à Juan Diego Flórez ! La comparaison avec ses performances passées exceptionnelles, au disque (2003) ou sur scène (au Metropolitan Opera de New-York en 2011) pourrait s’avérer cruelle. On pourrait alors noter une souplesse et des nuances moindres, une projection plus modeste (l’acoustique particulière de la Vitrifigo Arena n’étant vraisemblablement pas étrangère à cette impression). Pourtant ce qui reste suffit très largement à notre bonheur ! D’abord un français d’une intelligibilité parfaite, une vraie vis comica (malgré les outrances de la mise en scène), une maîtrise parfaite de la tessiture et surtout cette évidence inexplicable quand un interprète chante un rôle qui semble écrit pour lui.
Il trouve en Julie Fuchs une Comtesse Adèle à sa mesure. On ne sait que louer d’abord, la fraîcheur du timbre, le français évident, ou le style châtié. Encore une fois le personnage que lui impose la mise en scène (une cruche qui vire rapidement nympho) n’est pas idéal, mais cela n’altère en rien son élégance scénique et vocale.
Julie Fuchs (Comtesse Adèle), Monica Bacelli (Dame Ragonde) © ROF / Studio Amati Bacciardi
Le troisième larron du trio torride de la fin du deuxième acte (Maria Kataeva en Isolier), se hisse au niveau des deux autres. Timbre plein, extension dans l’aigu, souplesse de l’émission, la lauréate du concours Operalia 2019 (premier prix du public et second prix du jury) est une belle découverte.
On saluera également le Gouverneur de Nahuel di Pierro, aux graves impressionnants. Son air « Veiller sans cesse » est vivement applaudi, à raison.
Les autres protagonistes sont moins marquants, faute notamment d’un français parfaitement intelligible. Andrzej Filonczyk (Raimbaud) rattrape une performance en demi-teinte par son « Dans ce lieu solitaire » bien troussé, quand Monica Bacelli campe une Dame Ragonde réjouissante, faisant oublier par son métier des graves aujourd’hui évanouis.