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Mario Del Monaco : Le lion de Pesaro

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Actualité
5 avril 2023
Dans le cadre de L’Encyclopédie subjective du ténor

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(Pour consulter notre encyclopédie subjective du ténor, cliquez ici)

Lion de Pesaro : le titre de l’article peut paraître insolite, ou inapproprié, pour un ténor italien qui ne chanta guère Rossini. Mais personne ne contestera le lion. Petit-fils d’une princesse passionnée d’opéra et d’un critique lyrique, collectionneur d’enregistrements, Mario del Monaco exerça son emprise sur tous les publics pendant près de 30 ans. La célébrité, nourrie aussi par la presse à scandale de l’époque, a pour corollaire son lot d’anecdotes, de médisances. Malgré son autobiographie et d’abondantes interviews, il n’est pas toujours aisé de faire la lumière sur la carrière d’un des plus grands ténors du siècle passé, aussi adulé que décrié.

Son père, de retour de Libye, avait décidé de s’installer à Pesaro pour faire des musiciens de ses enfants (1). Mascagni, chantre du fascisme, anime alors le festival. La mère de Mario del Monaco, Fiora Giachetti, chantait les grands airs de Verdi et de Puccini en s’accompagnant au piano. C’était la cousine d’Ada, la première épouse de Caruso. Toute sa vie, notre ténor vouera une admiration sans limite à celui qu’il s’efforcera d’égaler. Souvent, il a répété combien l’enseignement qu’il reçut d’une ancienne cantatrice, après Raffaeli, lui avait cassé la voix. Son troisième professeur, Arturo Melocchi, en fit un ténor lyrique singulier. Enfin, poursuivant sa formation à l’opéra de Rome (que dirige Tullio Serafin), il reviendra auprès de son mentor, avant de chanter Turiddu (Cavalleria rusticana) à Pesaro, en 1940. En 1941, c’est Pinkerton (Butterfly) au Teatro Puccini de Milan, puis à Florence, faisant ses débuts officiels. Puis ce sont Alfredo (Traviata), Edgardo (Lucia), Cavaradossi (Tosca) et Loris Ipanov (Fedora). Il a 30 ans.

Sa carrière internationale commence à la Scala en 1945 (Pinkerton), puis, en 1946, aux Arènes de Vérone (Radamès) et, enfin Buenos-Aires, en 1950. Otello  fut son opéra fétiche (*), au point qu’il sera inhumé dans son costume de scène, en 1982. Son « Dio mi potevi » de 1954 ne laissera personne insensible.

Rudolf Bing l’attache aussitôt au Metropolitan Opera, où, en dix saisons, il incarnera en outre Des Grieux, Radamès, Chénier, Alvaro (La Forza del destino), Manrico, Enzo (La Gioconda), Ernani.

 Franco Corelli lui succéda au MET en 1961. Pour la Scala, dès 1960, il ajoute Enée (des Troyens). Wagner le séduit aussi . Il croit que sa voix arrogante de heldentenor est appropriée à Rienzi, à Lohengrin, à Die Walküre (Siegmund). Témoignent ainsi de la curiosité de notre ténor, un Lohengrin monté à Carnegie Hall avec Stokowski, en 1962, vingt ans après un courageux Ariodante (Haendel), tous deux sans lendemain. Le droit à l’erreur… Etrangement, Carmen l’accompagna pratiquement tous les ans, de 1947 à 1971, en italien évidemment, comme Samson, qu’il affectionnait tout particulièrement. Cavaradossi, Canio, Rodolfo et Pinkerton à Covent Garden, avec la troupe du San Carlo, lui valent les critiques les plus élogieuses. Comme ses collègues, il mène une vie effrénée et se produit à un rythme soutenu sur toutes les scènes internationales. En 1963, une grave collision avec un camion interrompt sa carrière pour une année. Toujours curieux, il apprend Stiffelio (que l’on redécouvre), et reprend Luigi (Il Tabarro) qu’il avait chanté durant plus de 20 ans. La violence de « Ha ben ragione » lui convient :

Ses dernières apparitions furent réservées au Teatro Massimo de Palerme, en 1975, où il chanta Canio (I Pagliacci). C’est dans sa belle demeure de Lancenigo, près de Trévise, qu’il se retira, pour se livrer à son autre passion, contractée dans sa jeunesse, aux Beaux Arts de Pesaro : la peinture et la décoration. Il s’est ainsi peint dans ses plus grands rôles. Evidemment, ses master-classes étaient courues. Il refusera obstinément toutes les propositions d’enregistrement, à une exception près, des chansons napolitaines, gravées en 1975, pour s’éteindre en 1982.

Renata Tebaldi et Mario del Monaco (Andrea Chénier, 1959) © DR

Il avait rencontré Renata Tebaldi, âgée de vingt ans, à Pesaro, sa ville natale. Elle étudiait avec Carmen Melis au Lycée musical Rossini. Bien que Mario del Monaco ait formé avec elle un des couples les plus célèbre de l’art lyrique, c’est surtout le disque (Decca, avec le médiocre Erede, hélas) qui a conforté cette impression : durant sa carrière, seules quinze productions scéniques les ont réunis. A titre de comparaison, Maria Callas a été sa partenaire pour un dizaine de fois, autant que Giulietta Simionato.

En scène, il a incarné 35 rôles. Il ne laisse pas moins de 26 opéras complets enregistrés (sans compter les live) en à peine plus de 20 ans de carrière.

Il possédait une voix et un rare physique de jeune premier, propres à enthousiasmer les foules. Ses traits sont réguliers, son élégance naturelle, et notre ténor renouvelle l’approche théâtrale de ses héros : non seulement les psychologies sont fouillées, mais les attitudes, le choix des représentations (Radamès en pagne, Otello blanc) apportent leur lot de nouveautés. Phénomène vocal, Mario del Monaco le fut, tout au long de sa carrière, et ses admirateurs furent légions, le qualifiant de ténor dramatique du siècle. Sa voix ample, d’une arrogance sans égale, sa diction souveraine, son timbre de bronze doré aussi, permettent de le distinguer de ceux de sa génération (Di Stefano, Bergonzi, Björling, Corelli). S’il a chanté – en italien – Samson, Don José et Enée, tenté aussi trois Wagner, c’est évidemment dans Verdi, les véristes et Puccini qu’il excelle. La virilité noble de son chant lui permet de renforcer la dimension héroïque de ses personnages. Il a du reste abandonné progressivement les ouvrages où la densité, la lourdeur de la palette vocale étaient inappropriés.

Nul ne peut rester indifférent à Mario del Monaco. Sa voix, extraordinaire, avait été reconstruite par Melocchi, avec une émission singulière, légèrement tubée, centrée sur la gorge, dont il tira son énorme puissance. Elle impliquait des exercices musculaires du larynx et du palais que le chanteur qualifiait de « surhumains », en précisant « c’est à cette méthode que je dois ce que je suis ». Son chant robuste, athlétique, avec une émission à pleins poumons, en dehors de toute orthodoxie vocale, a cependant pu conserver son timbre… Une voix passionnante de stentor, d’une puissance énorme, bien que sa réticence à chanter en dessous de la nuance mezza voce ait fait l’objet de critiques régulières.

La couleur était unique, brillante, à la conduite chargée d’émotion, jusqu’à l’outrance. Les témoignages permettent d’imaginer cette vaillance, à l’éclat le plus dramatique, alliée, à ses débuts, à une souplesse et une légèreté de ténor lyrique. Il renoncera bientôt à l’aigu extrême (le contre-ut de Pinkerton). Une voix de ténor héroïque, aux graves solides, peut difficilement être animée avec autant de souplesse et d’élégance que celle d’un tenore di grazia.

Turiddu (Cavalleria rusticana) correspond en tous points à sa voix, comme Dick Johnson (La Fanciulla del West). Le Calaf (Turandot) qu’il incarne en 55 pour Decca avec Inge Borkh et Tebaldi, mérite le détour (ici Principessa di morte)

Face à ses détracteurs, Mario del Monaco a toujours défendu ses approches, avec des arguments parfois peu convaincants : « En général, le bel canto est pour moi un fait négatif, car c’est le chant pour lui-même, pas l’expression précise d’une personnalité. Oui, certains critiques disaient : il chante toujours trop fort, il n’a pas de demi-teintes, mais un Michel-Ange n’était pas non plus un peintre miniature ! Chacun a sa propre façon d’exprimer l’art et la mienne était gigantesque comme celle de Michel-Ange. » (Mario del Monaco dans une interview à Opernwelt).

Il a non seulement chanté le plus souvent avec un volume maximum et un timbre barytonnant, mais aussi assortis d’accents vocaux ajoutés, propres à renforcer le caractère dramatique.  Fréquemment, écrivent ses détracteurs, ses fins de phrase ont été « aboyées, bloquées, avec de violents chocs diaphragmatiques ». Néanmoins, il y a incarné ses personnages avec un souci constant de vérité. Le ténor était « la hantise des ingénieurs du son, obligés d’éloigner les micros de plusieurs mètres de lui, pour que sa voix ne sature pas tous les potientiomètres » (ASO, n°218, p.103). L’exhibitionnisme peut être pathétique. Il faut écouter « Dio ! mipotevi scagliar » (Otello), 1954, Alberto Erede

Ses censeurs, nombreux, soulignent à l’envi ses défauts, ses outrances, « sa vulgarité hurlée dans toute sa splendeur » (sic.), son indifférence (?), son style « pompeux-pathétique ». Si l’on doit à la direction de Mitropoulos deux réussites majeures (La Fanciula del West, 1954, et Ernani, en 57) il ne fut pas toujours servi par les chefs, y compris Karajan. De 49 à 61, il eut pratiquement le monopole du rôle d’Andrea Chénier, dont il avait la voix.  Le duo final, avec sa partenaire de prédilection, Renata Tebaldi, enregistré live en 1961 à Tokyo nous en donne une idée.

Son Canio (I Pagliacci), dirigé par Mitropoulos, est superbe, carnassier, animé d’un feu intérieur unique, et on oublie le phrasé tant la force dramatique est authentique.

Figure extraordinaire qui incarna, au lendemain de la guerre « le » ténor viril, énergique, Mario del Monaco correspondait alors aux aspirations du public de tous les continents.

(1) Un de ses deux frères, Marcello, sera un professeur de chant réputé.
(2) Ainsi, chantera-t-il 427 fois son rôle le plus fameux, Otello, tant en Europe qu’Outre-Atlantique.

Bibliographie sélective :

André Segond et Daniel Sébille, Mario del Monaco ou un ténor de légende, Lyon, JML, 1981
Mario del Monaco, La mia vita e i miei successi, Milano, 1982
Helena Mateopoulos, Les ténors du siècle, de Caruso à Pavarotti, Paris, Editions de la Martinière, 1999
Laura Macy, The Grove Book of Opera Singers, Oxford University Press, 2008

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