On ne fera pas l’injure de présenter Paul Van Nevel aux amateurs de musique ancienne, l’inlassable chercheur dont la discographie est immense, et l’apport essentiel. C’est à une nouvelle découverte qu’il nous invite avec ce premier enregistrement mondial de deux messes de Ludwig Daser.
Actif dans la seconde moitié du XVIe siècle, Daser est peu connu de nos jours. Pourtant, après avoir chanté comme ténor à la Hofkapelle de Munich, il y fut promu maître de chapelle en 1552, bien que protestant, servant à une cour catholique. La Contre-Réforme conduisit à son éviction. Il fut remplacé par Lassus, et gagna alors la cour du Würtemberg, à Stuttgart, qui avait rompu avec Rome en 1538. Son œuvre marque l’aboutissement de la technique de la messe à 4 voix sur cantus firmus (10 des 22 messes qui nous sont parvenues) héritée de ses maîtres, Senfl et Isaac (*). Cinq d’entre elles sont des messes parodies. De sa seconde période, nous restent une Passion (dédiée à Albert V de Bavière), une soixantaine de motets, d’hymnes et de psaumes allemands, conformes au culte luthérien. La Missa praeter rerum seriem, à 6 voix précède ici la Missa Fors seulement, à 4 voix (**), sans Credo. Les deux diffèrent sensiblement. La première est construite sur un cantus firmus, la seconde est une messe parodie qui emprunte ses motifs à la chanson à trois voix Fors seulement, dont une trentaine de versions circulaient alors dans toute l’Europe.
L’alternance de passages harmoniques et contrapuntiques, des puissants tutti à des écritures allégées (***), les changements de métrique font qu’à aucun moment l’attention, voire la fascination, ne se dispersent. Les chanteurs, deux par partie, sont familiers tant de la pratique du plain-chant que de cette polyphonie, la plus exigeante. Les intonations grégoriennes l’attestent avant que le contrepoint s’impose. La souplesse des modelés, les inflexions, l’articulation, les couleurs peuvent-elles être mieux servies ? Il en découle une beauté austère, un dépouillement où la ferveur, la douleur, la sérénité et la joie nous émeuvent profondément. Alors que ces riches polyphonies se prêtent trop souvent à des interprétations plates, au tactus rigide, aux voix droites et inexpressives, nous tenons là une musique plus vivante que jamais, aussi respectueuse de la lettre que de l’esprit, un modèle de style. Merci à Paul Van Nevel et à ses chanteurs pour cette extraordinaire découverte. Attendons le second volume, promis, qui illustrera les 17 ans de création de Daser à Stuttgart.
Signé par le chef du Huelgas Ensemble, le livret, particulièrement riche, trilingue (anglais, allemand et français) comporte l’ordo de la messe et ses traductions.
(*) Le cantus firmus est un motif emprunté au plain-chant ou au répertoire profane, dont se nourrissent toutes les parties vocales. Ici, à la différence des franco-flamands, Daser transfère le cantus firmus du ténor au discantus [soprano] pour lui donner davantage d’éclat. La messe parodie emprunte sa texture polyphonique à un motet ou à une chanson, et construit chaque partie de la messe comme autant de variations contrapuntiques de ce matériau préexistant.
(**) MGG donne la Messe Fors seulement à 5 voix… information reprise par The New Grove’s dictionary. La notice documentée de Wikipedia le confirme. Faute de source imprimée du temps – seule sa Passion y eut droit – il est vraisemblable que les multiples copies de cette messe ont autorisé des variantes, dont celle à 4 voix dans le cas présent.
(***) Ainsi, dans la messe à 6 voix, le renouvellement constant des combinaisons vocales : la palette s’élargit de deux voix (Crucifixus) à trois (Domine Deus) à quatre (Pleni sunt, puis Benedictus), à six, avec des effets d’oppositions, de blocs dialoguant ou se combinant.