Pour sa première édition, le Paris Opera Festival avait fait le pari d’unir les stars de la scène lyrique aux étoiles de la Sainte-Chapelle. Pari osé lorsqu’on sait que les voûtes d’ogives de l’édifice offrent certainement une acoustique flatteuse à une musique polyphonique qui ne demande qu’à laisser ses accords s’épanouir, mais que, s’agissant ici du répertoire traditionnellement dévolu aux contre-ténors, répertoire vocalisant à souhait, un écho trop généreux aurait suffi à gâcher la plus habile des performances.
Jakub Józef Orliński, accompagné au piano par Michal Biel, a su tirer le meilleur parti de cette acoustique et, du moins pour un spectateur installé dans les premiers rangs, l’effet s’est vite avéré idéal. Peut-être est-ce le fruit du hasard. Mais peut-être est-ce aussi le fruit d’un parti-pris qui, venant du jeune contre-ténor, ne surprend plus : sortir de ce répertoire traditionnellement dévolu aux contre-ténors, aborder des pièces moins connues du grand public, moins ornées – et, du reste, initialement écrites pour baryton –, mais non moins touchantes.
Le choix des airs peut, en effet, surprendre : à une première partie résolument baroque, déployant quelques tubes du répertoire dans sa tessiture, en particulier chez Purcell, a succédé un second volet comprenant des mélodies polonaises plus intimistes et confidentielles que les inconditionnels avaient découvertes grâce au dernier album d’Orliński et Biel, Farwells. Ainsi, de Fux (1660-1741) et Purcell (1659-1695), l’on est passé à Czyż (1923-2003), Karłowicz (1876-1909) et Moniuszko (1819-1872), avant de revenir à Haendel (1685-1759).
Musicalement, la cohérence du programme est certainement amenée par le piano. En effet, alors qu’il déploie le jeu présent, affirmé, et parfois romantique, qui est exigé par les partitions dans les pièces plus tardives, Michal Biel aborde les pièces baroques avec une grande intelligence musicale. Il ne s’agit jamais d’imiter le clavecin ou de réduire le piano à une basse continue. Au contraire, le choix de l’accompagnement est assumé avec nuance et retenue. Certains ralentis, certains élans, n’auraient pas été possibles – ou très malvenus – dans une interprétation strictement historique. Ils sont ici amenés avec une grande finesse, donnant au piano tout son sens.
Les qualité vocales de Jakub Józef Orliński sont désormais connues et l’on ne peut ici que souligner à nouveau la richesse du timbre – coloré et plein d’harmoniques –, l’homogénéité du placement, la qualité de la projection. Il déploie tant ses graves que son médium et ses aigus – ce qui est particulièrement remarquable chez un contre-ténor – dans un même moule où rondeur et incisivité se répondent constamment. La voix est bien accrochée et les résonateurs supérieurs largement mobilisés. Le registre très aigu est parfois un peu agressif, mais la perception est sans doute différente si l’on est placé plus loin du chanteur.
Dans les Purcell – « Music for a while », « Fairest Isle », « Cold song », « Strike the viol » –, chanteur et pianiste semblent en parfaite symbiose. Dans la première pièce, on sent une progression remarquablement maîtrisée où certains ralentis contrastent avec une animation de plus en plus forte. Dans cette page en particulier, mais également dans le reste du programme, les zones de liberté (vocalises improvisées, cadences, nuances, variations de tempi…) sont pleinement exploitées sans néanmoins tomber dans la caricature ce qui, concernant en particulier l’air du froid de King Arthur (« Cold song »), n’avait rien d’acquis. Ici, le choix est fait de ne pas trop détacher les syllabes et la réussite réside en un legato mis sous très haute tension. Si les mélodies polonaises réclament plus d’introspection, l’Orliński mutin des vocalises du « Strike the viol » n’est jamais très loin et l’on s’est par exemple vu offrir un « Prząśniczka » où le piano exprime la course effrénée d’un fuseau (qui est aussi celle du temps) et où le chanteur raconte, avec tendresse et ironie, l’histoire d’une jeune fille lassée d’attendre le garçon fidèle.
Cette dernière mélodie sera d’ailleurs reprise en bis. Si l’on ne craignait pas les platitudes, on conclurait ce compte-rendu en écrivant que, sous les étoiles de la Sainte-Chapelle, il y en avait une qui, le 30 avril dernier, brillait un peu plus intensément.