Après l’Orfeo et Il ritorno d’Ulisse in patria, le chef d’orchestre et ténor Emiliano Gonzalez Toro clôt son triptyque des opéras (conservés) de Monteverdi. Comme pour les deux opus précédents, la version de concert se trouve enrichie d’une mise en espace de Mathilde Etienne. Les deux artistes donnent d’ailleurs de leur personne tout au long de la soirée puisqu’on les retrouve dans plusieurs seconds rôles.
Avec son livret flamboyant et riche en rebondissements, l’Incoronazione di Poppea a donné lieu aux propositions scéniques les plus délirantes. Rien de tel ce soir avec cette mise en espace très dépouillée (quelques costumes, un fauteuil central comme décor) et qui présente l’intérêt de coller au plus près des personnages. Après deux représentations à Metz et Genève, le spectacle est désormais bien rodé et la scénographie donne à voir la quintessence de ce qui fait l’originalité de la Poppea monteverdienne – et c’est déjà beaucoup : l’érotisme, les jeux de pouvoir, les trahisons, l’ensemble étant teinté d’un humour et d’une ironie toujours présents en filigrane.
Il faudrait sans doute une salle aux dimensions deux fois plus modeste que le TCE pour goûter pleinement aux plaisirs auxquels nous convient les musiciens de I Gemelli, conduits du clavecin et de l’orgue de façon impeccable par Violaine Cochard. Les violes de gambe de Louise Pierrard et d’Agnès Boissonnot-Guilbault apportent de la sensualité et de la couleur, et l’on admire la harpe renversante – arpèges, glissandos, transitions – de Marie-Domitille Murez. Mais, avec une dizaine d’instrumentistes au total (dont quatre seulement hors continuo), les intermèdes restent trop sages et manquent de chair. C’est ce déficit de densité et de contraste qui contribue à donner l’impression d’une soirée qui ne décolle jamais vraiment musicalement. Même les « tubes » de l’opéra tombent quelque peu à plat, à l’instar de cet « Addio Roma ! » d’Ottavia qui nous a laissé de marbre. Le duo final, mal accordé, a quant à lui dû être interrompu en plein milieu puis repris en raison d’un décalage persistant entre voix et instruments.
Foudroyant dans l’aigu, perçant du regard, le Nerone de David Hansen fait un bel effet, au prix toutefois d’une incarnation parfois trop uniformément brutale. Poppea se trouve ce soir incarnée par la plus belle Pamina en activité, la soprano norvégienne Mari Eriksmoen. Malgré une ligne radieuse et un bel investissement scénique, elle semble toutefois gênée dans les graves, et ne parvient pas à traduire toutes les ambivalences du personnage.
En Ottavia, Alix Le Saux est superbe d’autorité dans son « Disprezzata Regina » d’entrée, mais moins marquante par la suite. L’Ottone de Kacper Szelazek déçoit quelque peu également ; si la présence scénique est louable, le timbre reste monochrome. L’impression est similaire concernant le Seneca de Nicolas Brooymans, tremblant et peu audible dans l’extrême grave. La Drusilla (et Virtù du prologue) virevoltante de Lauranne Oliva apporte quant à elle un joli rayon de fraîcheur et c’est peut-être la seule interprète que l’on sent totalement en adéquation avec son personnage. Dans les deux rôles de Nutrice enfin, Mathias Vidal et Anders Dahlin rivalisent d’énergie et d’humour, au détriment parfois de la ligne vocale. Ils permettent toutefois d’insuffler un brin de folie à ce Couronnement resté bien trop sage.