En dehors du star system, Filippo Mineccia va son petit bonhomme de chemin depuis plus de 20 ans au fil de récitals souvent axés sur un compositeur. Après Leonardo Vinci, Attilio Ariosti, Niccolò Jommelli puis Giovanni Paisiello and friends, il sort en 2023 un disque Mozart. Pourtant, c’est à un beau disque paru précédemment et consacré à Francesco Gasparini (1668-1727) que nous nous intéressons.
Natif de Toscane mais formé à Rome où il débute dans le dernier quart du XVIIe siècle, Gasparini s’installe à Venise. Constamment à l’affiche du Teatro San Cassiano pendant les dix premières années du XVIIIe, le musicien est joué dans toute la Péninsule, notamment La Fede tradita e vendicata. Quittant la Sérénissime, Gasparini retrouve Rome où il succède à Caldara au service du cardinal Ruspoli en 1716. Ses opéras continuent d’être créés et repris du nord au sud de l’Italie et jusqu’à Prague, Hambourg ou Vienne, avant que les compositeurs d’école napolitaine ne fassent oublier son nom. Gasparini s’essaie aussi avec succès à l’oratorio (notamment à l’Ospedale della Pietà où il officie tout comme Vivaldi), et aux genres à succès que sont la cantate, en pleine vague arcadienne, puis les intermèdes comiques.
L’intérêt de Mineccia pour Gasparini lui vient sans doute de l’enregistrement de Bajazet (Reggio Emilia, 1719) pour Glossa, seul dramma per musica du compositeur au disque. Opus intéressant à comparer au Tamerlano de Haendel, malgré une réalisation assez plate sous la baguette de Carlo Ipata. Le chef avait ensuite accompagné Roberta Invernizzi dans un récital consacré à Gasparini, toujours pour Glossa. Aucune de ces réalisations n’étaient toutefois parvenu à redonner au compositeur une place de choix au panthéon des compositeurs baroques. Gasparini reste assez peu joué, même si la superbe scène d’Atalia (Rome 1696) a été gravée à deux reprises, tout comme le rêveur « Dolce mio ben » (Flavio Anicio Olibrio, Venise 1708). Saluons la fidélité de Glossa envers ce musicien, car la présente anthologie riche en inédits livre des preuves plus saillantes du talent et de la singularité de Gasparini.
Certes, la vocalise ronronne parfois dans les standards de l’époque (« Verrò tuo punitor »), mais l’exécution est impeccable et expressive, et « D’ire armato » est mieux rendu que par Invernizzi-Ipata. Gasparini se distingue plus nettement par son raffinement, sorte d’heureux compromis entre la facilité mélodique d’un Bononcini et la sophistication d’un Scarlatti. Également remarqué par Invernizzi et Ipata, l’air « Qui ti scrivo », tiré d’une serenata viennoise, se contente d’un théorbe et témoigne de la sobre expressivité du compositeur. Les dialogues entre hautbois et cordes font le charme de « Vede anche il nido » (Antioco) et de l’exquis « Se sciolto il rivoletto » (extrait d’Eumene d’attribution incertaine cependant). Un violon obligé vient encore animer « Non sa chi non è amante » de l’oratorio Erode, aux modulations prenantes. Même qualité pour un air d’oratorio de l’inconnu Pier Jacopo Bacci inséré dans l’ensemble, auquel le jeu entre déclamation, violon solo et tutti offre une belle allure. Il faut dire que L’Orchestra nazionale barocca dei conservatori italiani dirigé par Paolo Perrone fait notablement mieux qu’Ipata et Auser musici pour raviver les couleurs et le charme de ces musiques encore empreintes d’un esprit seicento. L’ensemble et ses solistes ont la densité, le mordant et les coloris requis, dans les airs qui ne reposent que sur une poignée d’instruments comme dans les pages qui requièrent tout l’effectif, notamment les mouvements du magnifique concerto grosso fatto per la notte di Natale de Corelli, maître présumé de Gasparini.
Le timbre toujours aussi personnel, l’alto Filippo Mineccia tire le meilleur parti d’un instrument dont il transcende les limites de tessiture à des fins expressives (brillant « No, non discende no » de Bajazet). Les vocalises sont exécutées avec brio, le ton sait se faire péremptoire, et le texte, dit avec une netteté remarquable, est restitué dans toutes ses nuances au gré des répétitions inhérentes au genre (« No sa chi non è amante »). Le falsettiste confirme qu’il est excellent musicien et, davantage que dans le répertoire plus tardif, trouve dans cette musique un parfait véhicule pour sa voix. On comptera donc logiquement ce disque parmi ses plus belles réussites aux côtés du récital Ariosti.