De Lully à Mondonville (1674 et 1753), ce CD résume bien l’évolution de la tragédie lyrique, du jeune Louis XIV à la naissance de Louis XVI. Virginie Thomas, révélée à Thiré et ailleurs par William Christie, auprès duquel elle a fait ses classes, signe ici son premier CD (*), après en avoir gravé de nombreux, sous la direction d’autres très grands noms du baroque. Elle a retenu les nymphes pour donner corps à son projet. L’univers mythologique et merveilleux des livrets du temps en est riche, et nous tenons là un excellent fil conducteur. Le seul artifice, que l’on oublie sans peine, réside dans l’organisation du programme (un prologue et trois actes, pourquoi pas cinq ?), qui ne répond qu’à une logique formelle, plus ou moins chronologique. Variées dans leurs caractères – de l’insouciance légère à la joie mais aussi à l’émotion – nous écouterons une quinzaine d’oeuvres vocales, le plus souvent brèves, dont beaucoup sont d’heureuses découvertes. Entre elles s’insèrent des compositions instrumentales en relation, dont des pièces pour clavecin de Couperin et Rameau. Ces dernières sont confiées à Béatrice Martin, qui assure également le continuo tout au long de l’enregistrement. Si ses qualités au clavier sont connues, il faut souligner la rondeur et la plénitude de la basse chiffrée réalisée. La variété réside également dans la formation : ce n’est pas un simple récital pour soliste, mais une œuvre collective à laquelle prennent part trois autres voix de femmes, dont Anaïs Bertrand, pour quatre pièces. L’extrait du rare Endymion (Colin de Blamont), comme celui de Zélindor (Francoeur et Fr. Rebel), sont un modèle du genre. A ce propos, au moins quatre ouvrages, sauf erreur, n’ont pas été gravés auparavant, ce qui contribue à l’intérêt de cette réalisation. Les choix ont été judicieux, et Benoît Dratwicki, qui a assuré la direction artistique, ne doit pas y être étranger.
Chaque pièce, même brève, appellerait un commentaire. Ainsi, après un pathétique « Vaine fierté, faible rigueur » (Proserpine, de Lully), Campra est illustré avec art et sensibilité. Les bois, fruités, qui introduisent « Nos plaisirs sont peu durables » (Tancrède) s’accordent idéalement à la voix, légers, virevoltants. « Règne amour » est aussi remarquable pour ses flûtes que pour le chant. Enfin, d’Aréthuse, « Sévère tyran de mon cœur », ample et expressif à souhait, donne envie de découvrir la totalité de l’ouvrage.
Le plaisir et l’émotion sont constants à la faveur d’un renouvellement des interprètes. Les vents (qu’anime Alexis Kossenko au traverso et à la flûte à bec) sont un constant régal de couleurs et d’articulation, tout comme les cordes, Emmanuel Resche-Caserta conduisant l’ensemble de son dessus de violon. Il faut dire que Virginie Thomas s’est entourée pour la circonstance d’amis et de partenaires, tout aussi motivés et familiers de ce répertoire. A l’égal des meilleures formations actuelles, les douze instrumentistes, d’un ensemble parfait, rivalisent d’aisance et de liberté pour offrir l’écrin approprié à la voix. Les nombreuses pièces brèves qui alternent avec les airs sont autant de bonheurs, enjouées comme graves, toujours allantes. Un disque où jamais on ne s’ennuie.
Virginie Thomas, exemplaire de style, s’investit totalement dans son projet. Le timbre est séduisant, les textes sont servis par une ligne exemplaire, souple. L’aisance de l’ornementation appropriée, les qualités d’élocution et le sens dramatique, le chant de notre soliste n’appellent que des louanges.
La brochure d’accompagnement, bien documentée, en français et en anglais, reproduit les textes chantés et leur traduction.
Un enregistrement qui ravira les curieux de musique baroque, par son programme – hors des sentiers battus – comme par ses interprètes, que l’on souhaite retrouver en d’autres occasions.
(*) La photo, résolument contemporaine, qui illustre la pochette comme le livret est un cliché de notre soliste jouant la nymphe des eaux de la Mer Morte…