Norma chantée pour la première fois par Karine Deshayes. Une prise de rôle en même temps que des débuts au Festival d’Aix-en-Provence – si l’on excepte le concert avec Florian Sempey quelques jours auparavant. Les abords du Grand Théâtre bruissent de l’excitation propre aux grandes soirées d’opéra. Le choix d’une version de concert n’a pas découragé les aficionados – au contraire ? Les billets ont, paraît-il, été vendus en moins de trois semaines. Une centaine de demandes patientent encore sur liste d’attente. Sans espoir.
S’ajoute pour aiguillonner la curiosité l’usage de la partition originelle destinée à Giuditta Pasta et abandonnée depuis que des sopranos moins dramatiques se sont emparés du « rôle des rôles » (et que par conséquent la partie d’Adalgisa a été confiée à un mezzo aigu). Le retour aux sources s’accompagne d’une édition critique réalisée par Maurizio Biondi et Riccardo Minasi lui-même. L’ouvrage, augmenté de mesures inédites, gagne en longueur comme en difficulté. Pour ne rien concéder à la facilité, le chef et violoniste italien accélère certains tempi à l’encontre d’une tradition qui veut l’opéra de Bellini marmoréen, scellé sur le piédestal de la tragédie lyrique. Stimulé par une direction fougueuse, l’Ensemble Resonanz crépite. Les cordes cinglent, les cuivres grondent, les timbales tonnent. Il y a de l’électricité dans l’orchestre. Comme dans Idomeneo l’avant-veille, le chœur Pygmalion creuse et accuse le relief harmonique.
Et les chanteurs ? En une succession d’entrée et de sortie habilement réglée, ils n’occupent la scène que le temps de leur intervention, plus ou moins longue selon les cas, assez cependant pour que les rôles les plus brefs puissent laisser une impression favorable. Aujourd’hui Flavio, Julien Henric a chanté hier Don Ottavio dans Don Giovanni dirigé à Barcelone par Marc Minkowski. Seule Française en finale du Belvedere à Jurmala en juin dernier, Marianne Croux sera la Gouvernante dans The Turn of the Screw à Dijon la saison prochaine. Le rôle de Clotilde ne laisse plus indifférent depuis qu’une jeune débutante nommée Joan Sutherland l’a interprété à Londres en 1952 aux côtés de Maria Callas en Norma.
Il revient à présent à Karine Deshayes de se mesurer à la légende, avec le poids de l’histoire en plus de la difficulté du rôle. Et c’est à la naissance d’une grande druidesse que l’on assiste admiratif puis ému. D’une égalité souveraine, la voix gagne en confiance au fur et à mesure que sont franchies les étapes d’un parcours semé d’embûches, du premier récitatif où l’art de la déclamation se nourrit des Gluck passés – Alceste à Lyon en 2017 – jusqu’aux dernières braises de « Qual cor tradisti » exhalé à mi-voix comme dans un souffle. Limiter cependant la performance à une course d’obstacle gagnée à force de technique serait passer à côté de l’essentiel. Les sauts d’intervalle, les traits imparables, les multiples ornementations, les variations, la pyrotechnie acquise au contact prolongé de Rossini : chacun de ces effets n’a de valeur que par la manière dont il participe à une caractérisation aboutie et saluée debout par le public du Grand Théâtre du Provence. Cette Norma appelle à présent la scène de ses vœux. Elle devrait être exaucée dans les saisons à venir.
© Festival d’Aix-en-Provence
Inévitablement, ses partenaires s’apprécient à l’aune de sa proposition. Conformément au biais inconscient qui veut maternelle la voix la plus sombre, Adalgisa soprano rétablit un juste équilibre entre les deux prêtresses d’autant qu’Amina Edris, agile même si moins savante, possède dans le timbre une fraîcheur juvénile et dans l’attitude une simplicité touchante. Entre les deux chanteuses en parfaite osmose musicale, passe une complicité sororale et au-delà un frisson de tendresse.
Bien que baryténor, Pollione – intercalé entre deux Idoménée –, n’est pas le rôle le mieux inscrit dans les cordes vocales de Michael Spyres. Ni l’élan martial, ni l’arrogance attendus n’éperonnent les premières scènes. Il faut la confrontation avec Norma au 2e acte pour que la voix s’épanouisse et trouve les demi-teintes nécessaires à l’expression de la détresse obstinée puis du revirement amoureux.
Krzysztof Bączyk enfin dilue son Oreveso dans une basse trop claire, et trop sensible, pour rendre tangibles le caractère belliqueux et l’autorité du père de Norma.
Retransmisson le samedi 3 septembre à 20h sur France Musique.