Qui ne s’est jamais délecté de la lecture de la presse people dans une salle d’attente ? On ne sait pas trop qui sont ces gens apparemment célèbres et ces têtes couronnées de survivance de monarchie, mais épier leur romances et aventures nous procure un grand divertissement. C’est en partant de ce coupable constat que Laurent Pelly a trouvé sa manière de raconter Il Turco in Italia : Fiorilla est volage, un riche turc arrive en ville, un poète se veut le piètre narrateur et metteur scène des événements : tout colle pour composer, de scène en scène, des tableaux comme des négatifs de photographies que l’on assemble dans une double page de presse à scandale d’une magazine italien période Trente glorieuses. Gags et trouvailles scéniques se succèdent en rythme avec la musique de Rossini (la tondeuse et le tuyau d’arrosage de l’ouverture donnent le « la » de toute la soirée) cependant que la direction d’acteur finit de creuser la veine comique et laisse chaque chanteur y trouver sa propre marque. En somme, Laurent Pelly fait ses gammes et on adore. Tout ce qui faisait le sel de ses productions buffa, vues partout en Europe, se retrouve ici savamment dosé pour un nouveau succès complet.
D’autant que les chanteurs réunis dans cette deuxième distribution ont épousé sans mal chacune des facéties proposées par le metteur en scène. Depuis l’Albazar très caractérisé du ténor Pablo Garcia-Marquez au Geronio truculent et virtuose de Pietro Spagnoli, l’investissement du plateau est total. Même le maillon faible de la soirée, Anicio Zorzi Giustiani compense l’effort manifeste que lui demande la vocalisation rossinienne et des aigus à l’arraché par une composition scénique tout à propos. En deux coups de talon, Chiara Amaru donne chair à la gitane Zaida, ce qu’un mezzo sonore et capiteux vient compléter. Mattia Olivieri réalise des débuts triomphaux au Teatro Real : s’il est méconnaissable scéniquement en poète névrosé et mal lavé, la voix se déploie volumineuse et agile tout au long de la soirée. Il est parfaitement secondé par Adrian Sampetrean parfait en Selim bellâtre dont il coule les roucoulades dans un portrait de séducteur irrésistible. Enfin, appelée à la rescousse à la suite d’un refroidissement de Lisette Oropesa, Sabina Puertolas réalise une performance bluffante : une répétition et une seule représentation lui auront suffi pour convaincre tout le monde que la production a été faite pour elle ! L’abattage scénique est prodigieux. Charisme et présence s’allient au sens du rythme et des situations. Surtout, sa technique belcantiste enthousiasme de bout de bout et magnifie des moyens (volume, projection) peut-être un rien limité pour le vaste plateau du Real.
Cheville ouvrière de la complète réussite de cette soirée, Giacomo Sagripanti prouve une fois encore que peu de chefs actuels rivalisent avec lui dans le belcanto rossinien. Deux actes durant, le chef respire avec son plateau en même temps qu’il fouette son orchestre, façonne des contrastes et des ruptures de rythmes qui trouvent leur juste place dans ce théâtre lyrique si particulier. Ce faisant, il défend avec brio une tradition interprétative exaltante. Chanceux madrilènes, qui voient défiler tant de rossiniens émérites dans les deux distributions qui alternent dans cette production désopilante.