Qui a dit que Les Huguenots était un ouvrage impossible à distribuer ? L’Opéra de Marseille a fourni la preuve éclatante du contraire en réunissant pour sa nouvelle production du chef-d’œuvre de Meyerbeer une équipe qui, sans atteindre sans doute les fastes de « la nuit des sept étoiles » que le Met avait affichée en 1894, brille par son homogénéité et l’engagement de chacun des protagonistes. Hélas, on ne peut en dire autant de la production, minimaliste, et de la direction d’acteurs on ne peut plus succincte. On a connu Louis Désiré plus inspiré. Décors et costumes se déclinent dans des tonalités résolument sombres, noir, gris, bleu marine, avec cependant quelques touches de couleurs, la robe jaune vif de Marguerite de Valois et celle de Valentine au premier acte, d’un superbe bleu intense, ainsi que le long manteau rouge de Marcel. L’intrigue se déroule à une époque indéterminée. Rien ne distingue dans leur apparence les catholiques des protestants, ce qui est regrettable notamment au troisième acte où l’action, déjà confuse dans le livret, s’avère parfaitement incompréhensible. Quelques idées cependant retiennent l’attention comme la présence aux côtés de Marguerite de Boniface de la Môle qui fut son amant selon Alexandre Dumas. Les décors sont constitués de murs gris anthracite qui encadrent le plateau nu, et d’une cloison percée d’une large ouverture qui, selon les tableaux, descend au premier plan pour séparer la scène en deux parties. De grands poufs verts au deuxième acte, des rangées de chaises au trois, constituent les quelques rares accessoires. Des rideaux en plastique transparent maculés de sang apparaissent à chaque fois que la guerre entre les deux factions est évoquée ainsi que tout au long du dernier tableau où le massacre de la Saint-Barthélemy, à peine esquissé sur le plateau, inspire bien peu de terreur. On est loin de l’aspect spectaculaire qui caractérise le grand opéra à la française.
© Christian Dresse
En dépit de ce décor austère on se laisse néanmoins emporter par le drame qui nous est conté grâce à une interprétation solide qui capte durablement l’attention. Gilen Goicoechea, Thomas Dear, Frédéric Cornille et Jean-Marie Delpas forment un quatuor de basses impeccables et déterminées de gentilhommes catholiques, tout comme les ténors Kaëlig Boché et Carlos Natale dotés de voix sonores et bien timbrées. Ce dernier se révèle particulièrement crédible dans son emploi de « méchant ». Le Bois-Rosé d’Alfred Bironien à la voix bien projetée ne manque pas d’attraits. Doté d’une belle présence scénique et d’un timbre de bronze, François Lis est un Comte de Saint-Bris imposant notamment dans la scène de la bénédiction des poignards où il fait preuve d’une autorité saisissante. Avec sa bonhommie Marc Barrard campe un Nevers insouciant au premier acte qui se laisse peu à peu envahir par le drame qui se joue. Sa voix en impose, en particulier dans la scène où, face à Saint-Bris, il refuse de participer au massacre. Eléonore Pancrazi porte avec élégance le costume masculin et incarne avec justesse ce page encore adolescent, sorte de cousin de Chérubin, secrètement troublé par Marguerite de Navarre. Son timbre ne manque pas de séduction. On lui pardonnera aisément un ou deux aigus stridents tant sa présence scénique et son jeu subtil ont séduit le public, qui lui a réservé une belle ovation. Grand habitué de l’Opéra de Marseille, Nicolas Courjal ajoute avec Marcel, un nouveau rôle majeur à son répertoire. Il incarne avec subtilité ce personnage fanatique dont il exalte le côté paternel vis-à-vis de Raoul. La profondeur de sa voix lui permet d’émettre avec aisance les nombreuses notes graves qui parsèment sa partition. Sa chanson huguenote, sobre est racée, est sans conteste l’une des plus magistrale que nous avons entendue. Florina Ilie est une belle surprise. Son port altier et sa classe naturelle font d’elle une future reine de Navarre tout à fait crédible. De plus la soprano roumaine possède une voix pure et liquide associée à un souffle inépuisable qui font merveille dans son air d’entrée « O beau pays de la Touraine ». Ses vocalises dans la cabalette sont impeccables, quoiqu’un peu trop sages à notre goût. Enea Scala reprend avec brio le rôle de Raoul de Nangis qu’il avait abordé l’an passé à Bruxelles. Sa voix sonne avec davantage d’assurance et il parsème désormais son interprétation de nuances, tout à fait bienvenues dans son air d’entrée « Plus blanche que la blanche hermine », impeccablement ciselé. Très à l’aise sur le plateau, le ténor sicilien incarne avec fougue ce héros romantique, idéaliste et passionné notamment dans son air poignant « A la lueur de leurs torches funèbres ». Présent sur la scène pendant presque tout l’opéra aucun signe de fatigue n’est perceptible dans sa voix jusqu’au trio final mené à un train d’enfer par le chef. A ses côtés Karine Deshayes, également présente à La Monnaie la saison passée, a peaufiné son personnage dont elle fait une héroïne tragique et exaltée tout à fait convaincante. La voix est large, le timbre glorieux et le registre aigu opulent. Son duo avec Marcel plus développé qu’à l’accoutumée, son air du quatrième acte « Parmi les pleurs mon rêve se ranime », particulièrement déchirant, et le trio final comptent parmi les plus grands moments de la soirée.
© Christian Dresse
Au pupitre José Miguel Pérez-Sierra propose une direction enfiévrée et contrastée. Certains passages sont ralentis afin de produire un effet de suspension, d’autres pris à un train d’enfer, sont d’une efficacité spectaculaire. Cependant, le chœur « Bonheur de la table » au premier acte, trop rapide, y perd un peu de son éclat. L’ensemble n’en demeure pas moins d’un très haut niveau. La partition comporte relativement peu de coupures, on regrettera cependant l’absence du second couplet de la cabalette de Marguerite au deuxième acte. En revanche nous avons entendus plusieurs pages rarement jouées comme par exemple l’intervention de Bois-Rosé « Toute la nuit, mes chers amis » au début du troisième acte. Soulignons enfin la magnifique prestation des chœurs préparés par Emmanuel Trenque, si importants dans cet ouvrage.