Partenaire de la sortie du film Il Boemo qui retrace la vie du compositeur tchèque Josef Mysliveček et qui sort sur les écrans français ce 21 juin, Forumopera.com a rencontré son réalisateur Petr Vaclav qui revient pour nous sur la genèse de son film afin de nous éclairer davantage sur son processus de création et sa passion pour ce compositeur trop injustement oublié.
Quelle est la genèse du film Il Boemo ?
L’histoire de Josef Mysliveček m’a tout de suite interpelé. Celle d’un homme qui renonce à tous les acquis de bourgeois de province, va vers l’inconnu, se rend en Italie où la vie musicale est la plus active afin d’assouvir son désir : devenir compositeur d’opéra. Après avoir trouvé les premières informations liées à Mysliveček, il était devenu évident que je devais lui consacrer un film. En découvrant son histoire, je me suis efforcé de comprendre aussi son caractère. Mais ce qui me manquait cruellement, ce fut l’accès à sa musique. Ses opéras n’ont jamais été représentés après sa mort. J’ai trouvé quelques excellents enregistrements par Magdalena Kožená, trois enregistrements de ses opéras enregistrés dans les années 70/80 mais d’une qualité si médiocre qu’elles desservaient leur auteur et me faisaient douter en vérité… de son talent.
Comment avez-vous procédé pour redécouvrir son œuvre ?
J’ai rencontré l’historien américain Daniel Freeman qui a publié aux Etats-Unis Josef Mysliveček, Il Boemo, The Man and His Music et surtout Vaclav Luks, le chef d’orchestre et fondateur de l’ensemble Collegium 1704. Nous sommes allés ensemble dans les archives, nous avons photocopié plusieurs opéras de Mysliveček. Il me les a ensuite joués et chantés au piano. J’ai alors découvert la force de cette musique, même si encore trop théorique. Ce n’est qu’en 2013, quand Luks a redécouvert son opéra L’Olimpiade, que nous avons eu pour la première fois la possibilité d’entendre un de ses opéras et d’en découvrir toute sa force et sa beauté. J’ai alors profité des répétitions pour tourner Confessions d’un disparu, un portrait documentaire de Josef Mysliveček qui était une sorte de préparation au film de fiction. Je suis ensuite allé à l’Arsenal et à la BNF pour consulter tous les documents possibles imprimés au XVIIIe. J’ai parcouru toute la littérature disponible, toutes les correspondances possibles et imaginables, ainsi que les récits de voyage de Sade, Vivant Denon et évidemment Charles Burney.
Avez-vous pensé votre film comme un opéra à part entière ?
Oui, il fallait que la vie de ce compositeur fasse corps avec sa musique. Que la musique que l’on entend dans le film corresponde aux sentiments et aux thèmes qui caractérisent les péripéties vécues par Mysliveček. Certaines scènes ont été écrites en pensant directement à la musique. D’autres morceaux ont été trouvés lors du montage. Pour pouvoir procéder ainsi, j’ai dû enregistrer la musique en amont du tournage. La plus grande partie de la musique que l’on entend dans le film est diégétique (Ensemble des sons qui font parties de l’action et/ou entendus par les personnages du film – NDLR). Il n’y a pas beaucoup de musique extradiégétique ; celle que l’on entend est soit la musique de Mysliveček, soit celle des compositeurs qui ont marqué cette époque : Galuppi, Haydn, Boccherini, Vivaldi. La production du film a été assez difficile. Nous nous sommes retrouvés la veille du tournage sans argent. Le film a été arrêté. Il risquait d’être abandonné pour toujours. In extremis, nous avons réuni les fonds pour tourner au moins les scènes musicales. Nous risquions autrement de ne plus jamais être en mesure de réunir les meilleurs chanteurs européens qui ont été bloqués une année en avance pour le projet. Il en était de même avec les décors déjà à moitié construits. Nous avons tourné les scènes d’opéra au Teatro Sociale de Côme en son direct. Je me suis ainsi retrouvé avec la musique enregistrée dans le studio et avec les scènes d’opéra tournées en live. Avec ce matériel, nous avons monté toute sorte d’extraits et nous avons continué à chercher de l’argent pour tourner les 80% du reste du film. Finalement, nous avons tourné tout le film en 39 jours, mais sur une période étalée, entre Prague, Venise, Naples, Genova et Palermo et en plein COVID.
Pourquoi avoir choisi de filmer les chanteurs face-caméra et à l’épaule ?
J’ai voulu échapper à l’académisme, à un certain conformisme qui pourrait rebuter le public plus jeune, afin qu’il découvre cette musique à sa juste valeur, et peut-être même susciter des vocations chez certains. J’ai montré l’opéra simplement, sans fioritures. Etre au plus proche des acteurs avec la caméra m’a permis de capter leur incroyable effort et présence sur scène. Rendre leur état de stress, de nervosité qui font partie intégrante de leur travail. Pour incarner la Gabrielli, ma rencontre avec l’actrice italienne Barbara Ronchi fut essentielle. Elle a immédiatement pris le rôle à bras le corps avec une capacité d’écoute inouïe et un don d’imitation sans égale. Le choix de la soprano Simona Saturová, qui lui a prêté sa voix, s’est aussi imposée naturellement à nous. Selon Vaclav Luks, sa voix se rapproche le plus de ce que pouvait être celle de la Gabrielli.
Souhaiteriez-vous mettre en scène un opéra ?
Absolument. Nous parlons en ce moment même avec Vaclav Luks de l’opéra de Mysliveček Il Demetrio. L’idée serait de le présenter également à l’endroit même où il fut créé, au Teatro Fraschini de la ville de Pavie en 1773. Nous rechercherons bientôt des coproducteurs en France, en Allemagne et en République tchèque.