Dans la foulée de numéros thématiques consacrés à d’importantes institutions lyriques – théâtres ou festivals – l’Avant-scène opéra consacre son 334e numéro au Festival d’Aix-en-Provence qui célèbrera son 75eanniversaire cet été.
Quiconque a déjà eu la chance de vivre quelques jours – ou, plus exactement, quelques nuits – sous les étoiles de l’Archevêché plongera avec bonheur dans l’histoire d’un des principaux événements lyriques du début de l’été, se remémorant en même temps quelques grands moments d’opéra, le soleil, les cigales, le rosé. Les autres ne manqueront pas de prévoir un séjour, tant ce numéro rend bien compte de l’évolution du Festival qui s’impose aujourd’hui comme lieu d’excellence musicale mais aussi comme foyer de créativité, d’innovation et de réflexion artistique et, plus globalement – mais cela s’impose sans doute à tout questionnement artistique intéressant –, social.
Le numéro s’articule autour de quatre rubriques et une conclusion comprenant chacune plusieurs textes : « En perspective », « Les principes artistiques du Festival », « Les artistes : profils et lignages », « Le Festival dans le monde » et « Pour finir ».
La première rubrique revient sur l’histoire et l’évolution de l’institution, mettant notamment l’accent sur l’apport des directeurs respectifs et ancrant le propos dans le présent et l’avenir grâce à un entretien avec Pierre Audi, actuel directeur du Festival.
La seconde rubrique aborde les lignes directrices artistiques – mouvantes dans le temps – et l’évolution du répertoire du Festival. Au sortir de la seconde guerre mondiale, le choix s’était porté sur Mozart – que l’on découvrait alors en version non traduite, et donc parfois allemande, dans un territoire alors très imprégné d’opéra italien. Peu à peu, le Festival s’est structuré autour de ce répertoire d’origine, de la musique baroque – que l’on redécouvrait alors également –, du bel canto et de la création contemporaine, qui occupe une place plus importante depuis les années 2000. Des textes sont spécifiquement consacrés à chacun de ces aspects. Le Festival n’est du reste pas prisonnier du genre opéra et, si des concerts sont programmés chaque été, il ose aussi l’exploration de formes hybrides. On se rappelle par exemple l’incroyable création-installation-performance-méditation Résurrection de Roméo Castellucci sur la cinquième symphonie de Mahler l’été dernier et l’on se réjouit de découvrir les Ballets russes qui seront présentés cet été au Stadium.
La troisième rubrique évoque différents aspects liés aux artistes – orchestres et chefs d’orchestres, chanteurs, metteurs en scène, peintres-décorateurs qui entretiennent un lien privilégié avec le Festival et sa région depuis les premières années. Chef allemand et orchestre français des débuts ont fait place à une diversification des formations et des chefs, liée à la spécialisation des répertoires – notamment baroque – ou à des approches plus personnelles de certains répertoires, sans exclure des liens privilégiés avec certains ensembles et chefs. L’important article d’Isabelle Moindrot revient sur la mise en scène au Festival qui, sans jamais sacrifier la musique et les interprètes, a su se réinventer au fil de changements économiques, techniques, esthétiques et sociaux. Chantal Cazaux évoque quant à elle les voix du Festival : « naissance des étoiles », « stars au firmament », « constellation plurielle », les métaphores parlent d’elles-mêmes.
La dernière rubrique, peut-être la plus hétéroclite, apparaît centrale lorsqu’on parle d’un Festival né dans une Europe meurtrie et divisée, évoluant aujourd’hui dans un monde (culturel) ouvert voire globalisé, ancré dans un territoire historiquement chargé et ouvert sur la Méditerranée. Les « lieux » du Festival, s’ils avaient déjà été abordés dans d’autres textes, sont plus systématiquement repris et sont, en eux-mêmes révélateurs de l’évolution d’une vision artistique (Le Grand Théâtre de Provence qui accueillera le premier Ring du Festival), voire politique (la réhabilitation du Stadium de Vitrolles avec Résurrection). Plusieurs structures sont mises en place pour œuvrer à la formation et au dialogue entre cultures et traditions musicales : créée en 1998 et aujourd’hui intégrée au réseau européen ENOA d’académies d’opéra, l’Académie du Festival est un vivier de création et de formation de jeunes artistes qui occupe désormais une place importante dans la programmation du Festival. En outre, l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée (OJM), créé en 1984, regroupe des musiciens provenant de 17 pays des deux rives de la Méditerranée. Ouvert par exemple au jazz et aux musiques traditionnelles, l’OJM a contribué à faire émerger un nouveau répertoire au Festival. La fin du numéro offre un aperçu passionnant du déroulement d’une année, d’une édition à une autre, et quelques pistes (à prolonger absolument) en matière de responsabilité sociale des organisations, question relativement nouvelle mais déjà centrale dans la gestion actuelle des institutions et (co-)productions lyriques.
Fidèle à sa ligne éditoriale, l’Avant-scène propose ici un numéro à la fois riche, précis et fluide. Le spécialiste y trouvera d’une part de très nombreuses données historiques et factuelles et, d’autre part, un beau matériau pour une réflexion globale sur la place de l’opéra et d’un Festival dans le monde contemporain. Le néophyte y trouvera une présentation et un langage accessibles, et la promesse d’un beau voyage.