Défendre une certaine idée de l’opéra. Tel est le point de vue que Christophe Ghristi, le directeur du Capitole de Toulouse, dit partager avec Jean-Louis Grinda, à l’occasion de l’adaptation in loco de sa mise en scène de Mefistofele, étrennée à Liège en 2007. Un grand spectacle en technicolor où l’approche scénique n’a d’autres objectifs que de servir l’œuvre. Il serait vain de chercher dans cette lecture du seul opéra de Boito inscrit au répertoire un double sens, un manifeste, voire un message subliminal destiné à aider le spectateur d’aujourd’hui à mieux appréhender un ouvrage d’hier.
Un plateau circulaire englobé dans une sphère utilisée comme un écran de projection : voilà le champ de bataille entre forces du mal et du bien ; voilà le monde dans lequel Faust entreprend son voyage spirituel. L’usage discret de la vidéo (Arnaud Portier), le choix de costumes explicites (Buki Shiff) aident à la représentation des tableaux successifs d’où se détachent les scènes de foule gérées avec virtuosité – le carnaval, le sabbat. Est-il nécessaire de préciser que le programme ne comprend pas de note d’intention à lire préalablement sous peine d’inutiles nœuds au cerveau…
© Mirco Magliocca
Place donc à la musique dans une salle à l’acoustique idéale pour les voix, si proches qu’on les croirait sonorisées. Nul faux pas dans la distribution, même s’il est possible de préférer une interprétation moins vériste de Margherita. Mais Chiara Isotton met tant d’ardeur dans « L’altra notte » et de sincérité dans « Spunta l’aurora pallida » qu’on en oublierait presque l’absence de nuances et de trille, d’autant que son soprano possède une ampleur, dans le grave une projection naturelle, dans l’aigu une violence, qui sont aujourd’hui qualités rares. Comme à Orange en 2018, Beatrice Uria-Monzon prête à Elena un glamour ravageur, des accents fauves et les effluves capiteuses d’une voix qui serait Gigondas si elle était vin, seules conditions plausibles à l’interprétation d’une icône mythologique, fille de Jupiter et cause de la guerre de Troie. Le mezzo profond de Marie-Ange Todorovitch, en Marta puis Pantalis, apporte le contrepoint attendu dans les ensembles et Andres Sulbaran compose un Wagner presque trop élégant pour un personnage buffo mais un Nereo de luxe. En quête de repères dans « Dai campi, dai prati », Jean-François Borras confirme qu’il possède un des plus beaux timbres de ténor du circuit et une technique imparable, italienne dans la conduite souple de la ligne et le rayonnement d’aigus émis en voix de poitrine – « Lontano, lontano » doux, rêveur et plus encore, dans l’épilogue, « Giunto sul passo estremo » dépouillé de ses atours factices de romance hédoniste pour prendre une dimension métaphysique. Après Marcel dans Les Huguenots à Marseille en début de mois, Nicolas Courjal ajoute Mefistofele à son palmarès, sans l’ombre d’un doute. La déclamation que l’on a trouvée parfois hachée épouse sans raideur, ni appuis malvenus le débit liquide de la langue italienne. La noirceur de la voix, la puissance, la prestance aident à la composition d’un démon dual comme il convient, inquiétant et ironique, sans histrionisme (et dans « Son lo spirito che nega » sans sifflet), simplement juste, ce qui n’est pas si évident dans un rôle où la tentation d’en faire trop se dispute aux multiples défis vocaux.
En l’absence d’un directeur musical permanent, il revient à Francesco Angelico de dompter une partition dont l’absence de fil narratif n’est pas la moindre des particularités et la multiplicité des humeurs rythmiques la moindre des difficultés. Plus à l’aise dans la gestion des masses chorales que dans les scènes intimes, sa direction bénéficie de la prodigalité des forces du capitole – un orchestre au grand complet, banda inclue, percussions en extra, et la cinquantaine d’artistes du Chœur et de la Maîtrise, placés sous la direction de Gabriel Bourgoin – gage d’une orgie sonore dont on ressort, tel Faust des bras d’Elena, essoré et heureux.