Nous avons déjà parlé, il y a quelques jours, de l’ambitieux projet des Schubertiades de Schwarzenberg, à l’occasion du 225èmeanniversaire de la naissance du compositeur, de donner en concert l’intégrale des Lieder de Schubert édités de son vivant, ce qui représente environ un tiers de sa production. A cette occasion, le festival publie dans son programme des fac simile des frontispices de ces éditions originales, qui sont autant de chefs-d’œuvre de gravure où différentes polices se font concurrence, et où le nom du dédicataire apparaît en lettres souvent plus grosses que celui du compositeur ou de l’auteur du poème.
Mercredi après midi, c’était au tour du jeune baryton Konstantin Krimmel d’occuper le podium et d’apporter sa pierre à l’édifice, en compagnie de son jeune complice le pianiste Ammiel Bushakevitz. D’origine roumaine, Krimmel a reçu sa première éducation musicale dans le chœur d’enfants de Saint-Georges à Ulm, et est parti ensuite étudier à Stuttgart. Il mène en parallèle sa jeune carrière de concertiste et sa participation à la troupe de l’Opéra de Bavière à Munich.
Il entre en scène un peu tendu, l’allure diablement romantique mais le corps en réserve et le visage peu expressif ; il lui faudra tout un temps pour trouver ses marques, se sentir à l’aise et entrer réellement en communication avec le public. La voix est généreuse, pourtant, et bien placée, même si l’émission voyage un peu dans les premiers Lieder. Un tour de chauffe, en quelque sorte. A moins que ces premiers Lieder relativement peu connus ne soient trop neufs pour lui, ce qui expliquerait le manque relatif de charisme et d’expressivité de ce début de première partie. Ce n‘est que dans l’opus 108, et surtout dans l’opus 65 que le jeune artiste révèle sa personnalité : de la légèreté bien à propos dans Die Erscheinung, une très élégante distanciation, un véritable sens poétique dans le très beau Lied eines Schiffers an die Dioskuren chanté avec nostalgie et dans Der Wanderer ; le baryton se trouve cependant un peu inconfortable dans le registre grave de Heliopolis.
En deuxième partie, face à un répertoire sans doute plus familier, le voilà complètement affranchi. On découvre un grand sens poétique et une belle élégance dans le célébrissime Ganymed, qui se poursuivent encore dans les opus 23 et 4. Chaque Lied a maintenant son caractère propre, entre drame et résignation pour Die Liebe hat gelogen, très réussi, ou le fort sombre Schwanengesang (rien à voir avec le cycle du même nom).
Der Wanderer est abordé avec lenteur, dramatisé à l’extrême en exagérant tous les contrastes, puis vient Morgenlied, donné avec une pointe d’humour, pour terminer de façon purement méditative, mais toujours inspirée et poétique, avec le Wandrers Nachlied. Curieuse fin en vérité pour un récital d’après-midi, alors que la plupart des jeunes chanteurs ont à cœur de finir leurs prestations sur une note virtuose, voire même pyrotechnique. Peut-être faudrait il repenser la composition de ce programme presqu’entièrement tourné vers le drame ou la nostalgie et laissant de côté une veine pourtant bien présente chez Schubert, celle de la joie de vivre, des aspirations de la jeunesse et de la communion avec la nature.
Ammiel Bushakevitz s’est fait déjà depuis quelques années une spécialité de l’accompagnement de Lieder. Il s’est montré fort attentif à son partenaire, fiable et régulier, précis mais discret dans ses intentions, laissant clairement la direction aux mains de son jeune complice.
Salués avec grand enthousiasme par le public, ils donneront encore en bis Die Uhr, une superbe ballade de Karl Loewe ; complètement détendu, débarrassé de tout enjeu, Krimmel partage alors avec bonheur son plaisir de chanter et de raconter une histoire devant un auditoire conquis.