Ce parcours, non exhaustif – loin s ‘en faut ! –, des lieux de mémoire wagnériens a été réalisé à l’aide du Dictionnaire Encyclopédique Wagner (Actes Sud) et du Musée virtuel Richard Wagner. La lecture de l’un, la visite de l’autre sont aimablement recommandés.
- Leipzig – Brühl 3
« Né le 22 mai 1813 à Leipzig, sur le Brühl, au deuxième étage de l’Hôtel du Lion Rouge et Blanc, je fus baptisé deux jours après à l’église Saint-Thomasous le nom de Wilhelm-Richard ». Tels sont les premiers mots de Mein Leben (Ma vie), l’autobiographie de Richard Wagner dictée en 1865 à Cosima von Bülow à la demande de Louis II de Bavière. Si l’église existe toujours (Johann Sebastian Bach en fut le cantor de 1723 jusqu’à sa mort en 1750), la maison a été démolie en 1886 et remplacée en 1908 par un grand magasin de sept étages, lui-même désaffecté au début des années 2000. Une surface en aluminium à motifs paraboloïdes ajoutée en 1968 par le sculpteur allemand Harry Müller lui valut d’être surnommé Blechbüchse (« boîte de conserve »). Depuis 2015, un centre commercial occupe l’emplacement. Une partie de la façade a été conservée et une plaque commémorative avec un portrait en relief de Richard Wagner signale au passant son lieu de naissance. A la mort du père, en novembre 1813, la famille quitte Leipzig pour s’installer à Dresde. Le compositeur ne reviendra dans sa ville natale qu’a la fin de l’année 1827. De son passage – turbulent – au Nicolai Gymnasium (Nikolaikirchhof 2), une des plus anciennes écoles de Leipzig, témoigne une exposition permanente intitulée « Le jeune Richard Wagner de 1813 à 1834 ».
- Riga – Richard Wagner-Haus, Riharda Vāgnera iela 4
Des deux habitations de Richard Wagner à Riga, de 1837 à 1839, il ne reste aucune trace, à l’exception d’un vitrail datant de 1913 dans l’immeuble édifié à l’emplacement de la seconde (Brīvības iela 33). Subsiste à défaut le théâtre qui porte son nom en bordure de la vieille ville. Le compositeur y dirigea plusieurs opéras. Sa configuration en auditorium et la situation de la fosse, prolongée sous la scène en raison de l’exiguïté de la salle serviront de modèle au Festspielhaus de Bayreuth. Le lieu fait aujourd’hui l’objet d’un vaste projet de restauration et de réaménagement destiné à la création d’un centre culturel international en Europe du Nord. Nom de code : GesamtkunstWerk21. Ouverture prévue en 2024. A Riga, l’hostilité et les jalousies que Wagner parvint à susciter en peu de temps le contraignirent à quitter la ville, criblé de dette, avant l’expiration de son contrat. C’est lors de la traversée de la mer Baltique et de la mer du Nord, en direction de Londres, que de terribles tempêtes lui inspireront son Vaisseau Fantôme.
- Dresde – Semperoper, Theaterplatz 2
Avant de s’enfuir de Dresde en 1849 car recherché pour sa participation active aux émeutes révolutionnaires du mois de mai, Richard Wagner résida plusieurs années dans la Florence de l’Elbe. Enfant d’abord jusqu’en 1827 (voir plus haut), puis à partir de 1842 – année de la création de Rienzi au Semperoper (du nom de son architecte Gottfried Semper). Sa fosse accueille encore la Staatskapelle Dresden que le compositeur disait « harpe miraculeuse ». Dans cette même salle furent créés en 1843 Der fliegende Holländer et en 1845 Tannhaüser. Wagner n’a cependant jamais connu le Semperoper tel qu’il se présente aujourd’hui, le théâtre ayant été détruit par un incendie en 1869, reconstruit puis de nouveau rayé de la carte lors des raids aériens de 1945 pour finalement ne renaître de ses cendre qu’en 1985 à l’issue de huit années de travaux de restauration à l’identique.
- Zurich – Villa Wesendonck, Gablerstrasse 15
Plus que les Maison Escher dans lesquelles Wagner habita (au numéro 11 de 1851 à 1853 et au numéro 13 de 1853 à 1857), son souvenir hante la villa Wesendonck, aujourd’hui annexe du Musée Rietberg, qui abrite les collections des civilisations extra-européennes, sans aucun lien avec le compositeur. Demeure le vestibule où Wagner donna des concerts pour Noël 1857 et Pâques 1858. Invité en avril 1857 par son ami Otto Wesendonck à résider dans la maison avoisinante qu’il baptise « l’Asile », Wagner développe une relation intime avec Mathilde, l’épouse de son hôte. Rien ne prouve que l’adultère fût consommé. Le flux tumultueux de cette passion amoureuse irriguera la composition de Tristan und Isolde, avec pour corollaire cinq mélodies sur des poèmes de Mathilde, éditées en 1862 sous le titre de Fünf Gedichte für eine Frauenstimme mit Pianoforte- Begleitung, dénommées depuis Wesendonck-Lieder. La jalousie de Minna, la première épouse de Wagner, mettra fin au chapitre zurichois en août 1858.
- Paris – Hôtel de Beauharnais, 78 rue de Lille
Conquérir Paris : l’aspiration suprême, au XIXe siècle, de tout compositeur en soif de reconnaissance, voire de postérité. Après une première tentative infructueuse en 1839 suivie de courts séjours (notamment en 1853 où il rencontre pour la première fois Cosima Liszt), Wagner revient en France en 1859, décidé à forcer le destin. Pauline Metternich, l’épouse de l’Ambassadeur d’Autriche, lui prête main forte en convainquant Napoléon III d’ordonner la représentation de Tannhäuser salle Le Peletier. L’opéra devient prétexte à contestation du pouvoir impérial. La morgue du compositeur irrite certains journalistes. L’entrée en fonction de Pierre-Louis Dietsch, chef médiocre chargé de diriger la partition, complique les répétitions. Le refus de placer le ballet au 2e acte, condition nécessaire pour que les abonnés puissent prendre le temps de dîner avant de reluquer les danseuses, précipite le désastre. Dès la première, le 13 mars 1861, une cabale perturbe le spectacle. Amplifié lors de la deuxième représentation à laquelle assistent l’Empereur et l’Impératrice – le 18 mars –, le chaos devient tel à la troisième – le 24 mars – que Wagner retire son œuvre de l’affiche. Accueilli quelques semaines après par l’ambassadeur de Prusse, le Comte de Pourtalès, en son Hôtel de Beauharnais, le compositeur panse ses plaies : « On m’y donna une jolie chambrette avec vue sur le jardin et d’où l’on apercevait les Tuileries. Dans le bassin se baignaient en solitaires deux cygnes noirs qui me plongeaient dans une douce rêverie. » (Mein Leben). Clairvoyant, Baudelaire prophétise : « Les gens qui se croient débarrassés de Wagner se sont réjouis beaucoup trop vite ».
- Munich – Résidence, Residenzstraße 1
C’est dans le palais de la Résidence à Munich qu’a lieu le 4 mai 1864 le premier entretien entre Wagner et Louis II. Agé de 18 ans, le roi, qui vient juste de coiffer la couronne de Bavière, a appréhendé l’art du compositeur par la lecture en 1857 de L’Œuvre d’Art de l’Avenir mais a dû attendre février 1861 pour assister à un de ses opéras, Lohengrin. Subjugué, il n’a depuis de cesse de le rencontrer. L’accession au trône lui en offre la latitude. Voilà le compositeur placé sous la protection du souverain, logé, appointé, choyé. Idyllique puis ombrageuse, longuement commentée par les historiens, mise en image par Luchino Visconti, leur relation s’avère providentielle pour Wagner. Après sa mort, Louis II dira « L’artiste que maintenant pleure le monde entier, je l’ai sauvé pour la postérité ». Les châteaux qu’il bâtit en Bavière au gré de sa fantaisie s’emploient à faire revivre l’univers wagnérien. Sur les murs de la chambre royale de Neuschwanstein, la légende de Tristan et Isolde ; dans les jardins de Herrenchiemsee, le refuge de Hunding et la grotte de Vénus… Pas de reliques architecturales wagnériennes en revanche dans la Résidence de Munich, le jardin d’hiver installé dans l’aile nord-ouest ayant été démonté en 1897, après la mort tragique de Louis II.
- Lucerne – Manoir Tribschen, Richard-Wagner-Weg 27
Idylliques, comme en atteste Siegfried Idyll, poème symphonique joué par quinze instrumentistes le 25 décembre 1870 pour le 33e anniversaire de Cosima dans l’escalier du Manoir Tribschen. A bien des égards, les six années passées par Wagner, de 1866 à 1872, dans cette maison bourgeoise louée au Colonel Walter Am Rhyn furent idylliques. Face au lac des quatre-cantons, le compositeur goûte au bonheur domestique pour une des premières fois de son existence tout en poursuivant l’édification de son œuvre, notamment à partir de 1869 la composition de Siegfried interrompue douze années auparavant. Acquis par la ville de Lucerne en 1931 – avec son vaste parc de 30 000 m² –, le manoir est transformé deux ans plus tard en musée. Ses cinq salles au rez-de-chaussée accueillent une collection de plus de 1500 souvenirs wagnériens, dont la partition de Siegfried Idyll.
- Londres – Château de Windsor
Trop sombre, trop sale, trop bruyant, Londres n’est pas une ville qu’affectionne Richard Wagner – « Il me sembla que ce printemps n’arriverait jamais, tant le climat brumeux pesait sur moi » écrira le compositeur plus tard dans Mein Leben. Les motivations des trois séjours effectués dans la capitale britannique, en 1839, 1855 et 1877, sont d’abord pécuniaires. C’est lors du dernier d’entre eux, destiné à renflouer les caisses du Festival de Bayreuth qu’il est reçu au Château de Windsor par la reine Victoria. Wagnérienne avant l’heure, la souveraine britannique avait déjà en 1855 assisté au septième des huit concerts dirigés à Londres par Wagner, exigeant que l’ouverture de Tannhäuser figurât au programme. Et le 24 mai 1899, c’est par une représentation de Lohengrin, de nouveau à Windsor, que la « grand-mère de l’Europe » célébrera son 80e anniversaire.
- Ravello – Villa Rufolo, Piazza Duomo 1
« J’ai trouvé le jardin enchanté de Klingsor ! ». En janvier 1880, la famille Wagner débarque à Naples. Richard s’est attelé depuis trois ans à la composition de Parsifal, qui sera son dernier opéra. Le 26 mai 1880, lors d’une excursion à Ravello sur la côte Amalfitaine, c’est l’éblouissement. Le compositeur reconnaît dans les jardins suspendus de la ville Rufolo le domaine enchanté de Klingsor où s’épanouissent les séduisantes Filles-fleurs chargées de corrompre les Chevaliers du Graal. Depuis 1954, ce balcon sur la mer accueille un festival de musique, initialement consacré à Wagner. Au début des années 2000, la construction par l’architecte brésilien Oscar Niemeyer d’un auditorium – vaste voile de béton blanc tendue sur une terrasse en contrebas de la villa –, n’a pas été sans agiter les esprits. La qualité de son acoustique aurait finalement eu raison des contestations. D’autres lieux découverts par Wagner lors de ses périples italiens inspirèrent la composition de Parsifal, telles les cathédrales de Sienne et de Monreale en Sicile.
- Venise – Ca’ Vendramin Calergi, Cl. Seconda del Cristo, 2040
13 février 1883. Non un vendredi, mais un mardi. Petit déjeuner frugal. Dispute bénigne avec Cosima. Richard Wagner s’enferme dans sa chambre, occupé par son projet d’essai sur la nature féminine, et refuse de déjeuner. Une crise d’angine de poitrine le surprend à son bureau. Ses derniers mots écrits ont valeur de testament : « L’amour… Le tragique ». Cosima se précipite. Il meurt dans ses bras à 15h30. La scène se déroule à Venise dans la Ca’ Vendramin-Calergi, louée par le compositeur en quête de quiétude au mois de septembre 1882. « Il m’est devenu complètement insupportable de vivre dans les grandes villes, notamment à cause du bruit des calèches qui me rend furieux » écrivait-il à son beau-père Franz Liszt en 1858 avant le premier de ses six séjours vénitiens. Vendu à la municipalité en 1946, le palais Vendramin-Calergi est désormais un casino. En 1995, certaines des dix-huit pièces de l’entresol où vécurent Wagner et sa famille, furent aménagées en un musée ouvert au public sur rendez-vous. Ses salles accueillent la plus grande collection privée consacrée au compositeur, après celle de Bayreuth – lieu de pèlerinage wagnérien par excellence, volontairement exclu de ce circuit tant il relève de l’évidence.