Myung-Whun Chung dirige très souvent le Stabat Mater de Rossini –qu’il a gravé sur un disque qui a fait date à sa sortie voici plus de 25 ans- et l’a d’ailleurs déjà fait dans ce même cadre du Festival de Saint-Denis, qui lui permet de retrouver le chœur de Radio France et le Philhar dont il a été le directeur musical, rappelons-le, pendant quinze ans.
Le chef coréen, qui arrive précautionneusement, comme recueilli, sur le podium, connaît donc cette partition sur le bout des doigts, elle qui constitue le chœur de ce programme d’ouverture après un Ave verum corpus de Mozart tout de retenue, larghissimo et sotto voce, comme il se doit. Mieux, il la tient tout entière dans ses mains, avec lesquelles il va façonner, pétrir, ciseler, les masses chorales et orchestrales avec une économie de gestes, une souplesse, une sagesse, une précision aussi, qui aura tôt fait d’attirer sur lui tous les regards d’une nef admirative. Ni baguette, ni partition, seulement les musiciens et lui.
Tout a été dit sur ce Stabat Mater né dans sa version définitive voici 180 ans cette année ; sur sa genèse ou son caractère hybride, dont Wagner dénonçait l’excès théâtral. Chung l’aborde avec une certaine gravité, cette même solennité que décrivait déjà Christophe Rizoud lors d’une précédente édition dirigée par le même chef en 2011, mais non sans ferveur ni spiritualité. Si les effets théâtraux ne manquent pas, ils ne cherchent pas pour autant à tirer l’œuvre vers l’opéra. Ils s’en tiennent simplement au texte : l’attaque tranchante des cordes et le fracas des cuivres de l’Inflammatus lèvent le voile (ou le rideau ?) sur l’enfer rougeoyant. L’Eia mater déborde d’une tendresse sans illusions. La double fugue finale sonne la révolte. Eplorée autant qu’emplie de sérénité, la lecture de Chung n’est que lumière.
Sa source première, outre un orchestre Philharmonique de Radio France dont on peut saluer tous les pupitres et singulièrement les vents, est incontestablement le chœur. Parfaitement préparé par Lionel Sow, il est légitimement acclamé aux saluts et on aimerait le voir mieux que ne le permet l’agencement de la scène. Quelle puissance sans emphase dans les tutti. Quelle finesse, quel état de grâce lorsque le saisissant Quando corpus morietur, suspendu aux mains du chef qui les accompagne doucement de gestes souples, nous berce paisiblement jusqu’à tenir longuement la note finale dans ce doux halo qui précède la tempête. Quelle écriture, aussi, pour leur partie !
Des quatre solistes qui font tous leurs débuts au Festival de Saint-Denis, ce sont les hommes qui ce soir ont l’avantage. Non que les voix féminines soient indignes : la soprano Selene Zanetti, sans renverser l’assistance, se sort avec les honneurs du redoutable et incandescent Inflammatus dans lesquels le chef, déchainant feux et tonnerre, ne cherche pas à la ménager. Plus tôt, le duetto plus apaisé du Quis est homo est lui-même équilibré mais très retenu. C’est d’ailleurs le qualificatif que l’on peut réserver à la mezzo-soprano Chiara Amarù, dont il faut rappeler et souligner qu’elle est venue au dernier moment remplacer Marianna Pizzolato. Sa cavatine Fac, ut portem, bien chantée mais un peu corsetée, laisse un peu de marbre.
Or, chez les hommes, l’engagement vocal est tout autre. Le ténor Xabier Anduaga, vainqueur en 2019 du concours Operalia / Placido Domingo, se montre d’une vaillance enthousiasmante dans son très attendu Cujus animam. Le timbre convient à merveille à cet air, dont il triomphe aisément du redoutable aigu final, tout comme il reste parfaitement audible dans les tutti orchestraux ou choraux. Mais plus convaincant encore, la basse Gianluca Buratto fait sensation dans son air Pro peccatis, comme avec le chœur dans l’Eja mater. Aigus rayonnants, graves profonds et tenus (ah, ce « Deum » qui ouvre des abysses !), projection impeccable, il s’en dégage une personnalité et une autorité marquantes.
Une ouverture du Festival réussie, donc, saluée par un public debout et même sur l’esplanade à l’extérieur de la Basilique, où les spectateurs qui avaient assisté au concert sur des chaises longues devant l’écran géant qui retransmettait ce dernier, ont longuement applaudi la sortie du chœur. Comment pouvait-il en être autrement ?