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Sebastian Schwarz : « Cette année, nous nous régalerons de cinq nuances de comédie »

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Interview
27 juillet 2023
Pour sa seconde programmation à la tête du festival Valle d’Itria, Sebastian Schwarz a fait le choix de la légèreté

Infos sur l’œuvre

Détails

Le parcours de Sebastian Schwarz est assez remarquable puisqu’il est passé au Wexford Festival Opera, au Staatsoper de Hambourg, au Teatro La Fenice avant de devenir directeur général du Glyndebourne Festival Opera, directeur artistique à Milan, Venise, au Théâtre de Turin ou encore au Theater an der Wien. Comme il le dit lui-même, le festival della Valle d’Itria, qu’il dirige depuis deux ans, « c’est un peu comme des vacances ! ». Des vacances bien occupées néanmoins pour cette 49e édition qui propose onze concerts et cinq créations lyriques mises en scène.
En dépit de ce parcours international, c’est pourtant en italien que se déroule cette interview juste après la création italienne de L’adorable Bel Boul de J. Massenet.

Découvrir une œuvre si française au cœur des Pouilles, quel surprise !

Cette opérette de salon est un parfait contrepoint à la grande opérette italienne ! Ici, on ne connait Massenet que pour à peine 3 de ses 28 opéras ; Werther, Thaïs et Manon, principalement. C’était l’occasion de faire découvrir une autre facette de son talent.

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est DSC09975FVI2023_Ladorable-bel-boul_-ClarissaLapollaph-1024x683.jpg.L'adorable Bel Boul © Clarissa Lapollaph

Vous êtes également directeur de l’Académie du Belcanto Rodolfo Celletti. Comment ces deux institutions s’enrichissent-elles mutuellement ?

Les vingt et uns chanteurs que nous accueillons chaque année, gratuitement, profitent d’une année post master centrée sur le travail technique et le style. Ainsi nous poursuivons notre vocation de diffusion de la tradition napolitaine du chant, du Bel Canto – au sens du Maestro Celesti, de Monteverdi à Donizetti -. C’est un défi de les laisser s’emparer de l’esprit français de cette œuvre, mais très riche pour leur apprentissage. Leur niveau est excellent et chaque expérience sur scène et en public est pour eux une occasion supplémentaire de grandir et de s’affirmer artistiquement.
C’est pourquoi ils participent à sept concerts à travers la Valle d’Itria avant de reprendre cette création à Séville et Udine.

Le programme du Festival della Valle d’Itria cette année évoque toutes les occurrences de la comédie. Vous aspiriez à la légèreté ?

Tout à fait, nous vivons d’une part un temps de guerre, en Ukraine d’abord, une guerre dont nous sommes déjà saturés médiatiquement et qui n’en reste pas moins injuste, sans oublier toutes les guerres dont nous ne parlons pas et que nous oublions. D’autre part, nous subissons tous une crise économique majeure. Nous avons besoin de légèreté, d’ailleurs, les âges d’or de l’opérette comme de la comédie sont liés à mes décennies de crises et de guerres.
Il me semble également important, dans le cadre d’un festival d’été, dans une région comme les Pouilles où les gens viennent pour leurs vacances, de proposer, pour une unique édition sur quarante neuf, un moment de légèreté, libéré de l’intellect.

Autour de ce thème vous avez voulu pointer quelques temps forts ?

L’an passé j’avais proposé un panoramique de quatre cent cinquante ans de création lyrique avec un représentant par siècle. Vous le voyez, j’ai le goût des anthologies. Cette fois j’ai souhaité « cinq nuances de comédie », car mieux vaut cinq couleurs de Buffo que cinquante nuances de Grey !
Ce panorama de la comédie débute avec l’Orazio et Gli Uccellatori crées il y plus de deux cent cinquante ans, N’oublions pas que la redécouverte d’œuvres méconnues font partie de l’ADN du festival ! Et plus encore quand il s’agit de compositeurs de l’école napolitaine comme pour Auletta à qui l’on doit l’Orazio, formidable succès à l’époque. J’ai trouvé intéressant d’apporter le contrepoint contemporain de l’école vénitienne, sa concurrente avec l’opéra de Goldoni et Gassmann. Ainsi peut-on entendre les deux écoles italiennes prépondérantes à l’époque, non seulement ici mais rayonnant jusqu’à la cour de Catherine la Grande à Saint Petersbourg.
L’éventail s’ouvre ensuite avec L’Adorable Bel Boul écrit il y a tout juste cent cinquante ans, avec un mode de pensée, une origine géographique, culturelle différente. En Italie, son travail est assez obscur. Nous avons déjà monté ici le Roi de Lahore, par exemple, mais personne ne sait qu’il a écrit des opérettes.
Et pour vous, il était pertinent de choisir comme représentant de l’opérette française – qui rassemble un corpus important – cette œuvre, méconnue en France à vrai dire ?
Mais justement, si elle n’est pas montée en France c’est à nous de le faire ! (rire) Plus sérieusement, ma première idée était de proposer Ciboulette pour ne pas faire Offenbach – qu’à vrai dire ici, peu de monde connaît. Mais Renaldo Hahn est vraiment trop méconnu d’une part et sonnait peut-être trop opérette pour les oreilles locales.
Cela m’a semblé précieux de faire découvrir plutôt une autre facette de l’œuvre d’un compositeur disposant déjà d’une certaine notoriété mais dans un registre sérieux. Cette légèreté que l’on découvre est doublée d’un exotisme à la mode avec la turquerie.

Continuons ensuite à avancer dans le temps avec un opera buffa comme Il Turco in Italia ou encore Il Paese del Campanelli il y a cent ans.
L’oeuvre de C. Lombardo et V. Ranzato est un excellent exemple de ces opérettes italiennes qui n’existent plus. Ce genre a principalement prospéré qu’à Trieste du temps où la zone était dans la sphère d’influence autrichienne avant de disparaître. Aujourd’hui seules les compagnies itinérantes proposent des opérettes. Or, elles sont forcées de rationaliser les coûts, réduisant l’orchestre, le chœur, les décors et même la qualités des chanteurs qui, trop souvent sont plutôt des comédiens susceptibles de chanter. Tout cela réduit le genre à un parent pauvre de l’opéra, ce qu’il n’est pas, loin de là. Je choisis de prendre le contrepied de cette logique avec un chef d’orchestre éminent comme Fabio Luisi à la tête d’un grand orchestre, d’un chœur de qualité et avec des chanteurs de premier ordre. Les deux soprani, Maritina Tampakopoulos et Francesca Sassu ont par exemple incarné Mimi de la Bohème à Turin lorsque j’en étais directeur. La première vient de rentrer de Tel Aviv où elle chantait dans Il Trovatore, la seconde a merveilleusement interprété l’une des deux Elisabeth dans Bastarda à la Monnaie de Bruxelles.
Or, ici, ces artistes se consacrent à l’opérette. Cela tout à fait innovant en Italie et permet de redonner ses lettres de noblesse à un genre délaissé.

Quel choix cornélien, tout de même de choisir cinq titres parmi un corpus si riche.

C’est indéniable. J’aurais voulu monter Cendrillon, ou encore Moscou Tcheriomouchki – une comédie musicale de Chostakovitch – pour faire découvrir l’école slave de la musique légère à forte dimension politique et satirique. On ne sait pas assez qu’à l’est de l’Europe, à Dresde, Budapest, Kiev (soupir), Moscou… existent encore des théâtres entièrement dévolus à cette musique. Bien entendu, j’aurais également voulu proposer un Gilbert et Sullivan (GB) ou encore un Rodgers and Hammerstein (US) sans oublier les écoles berlinoises, viennoises… C’est tout un monde. J’ai donc pensé que si cette année se révélait un succès, dans cinq ou dix ans je pourrai offrir une saison « Operetta bis » . J’étais également heureux de pouvoir proposer l’excellent Springtime in Amsterdam du grand réalisateur Christof Loy. Ce long métrage de grande qualité complète avantageusement ces propositions. Il réunit des chanteurs formidables comme Annette Dasch, Thomas Oliemans, Theresa Kronthaler …) autour d’un medium de notre temps s’inspirant du théâtre musical.

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est Copia-di-DSC02363FVI2023_LOrazio_ClarissaLapollaph-1024x683.jpg. L'Orazio © Clarissa Lapollaph

Vous disiez que votre ADN est celui des redécouvertes mais Il Turco in Italia, en revanche, ne constitue pas à proprement parler une rareté ?

Certes, à première vue ce n’est pas le cas. Ceci dit, d’une part, il est important pour moi de m’adresser également au public local de Martina Franca, car il s’agit avant tout de son festival. Il me semblait donc crucial de proposer une soirée « rassurante » avec un titre connu. Pour autant, fidèles à notre identité nous en proposons une version rarement exécutée : Nous supprimons les musiques additionnelles inclues à la hâte dans la première version de 1814 à la Scala et attirons plutôt l’attention du public sur la version romaine de 1815 pour laquelle Rossini a créé quelques numéros oubliés aujourd’hui.
En réalité l’ADN du festival serait le suivant : mettre en valeur les compositeurs de l’école napolitaine – et partant, des Pouilles – des œuvres oubliées et baroques.

Quels sont les défis qu’il vous faut relever ?

J’échange beaucoup avec d’autres théâtres pour développer les coproductions car il est dommage de ne monter une rareté que pour deux séances. C’est déjà le cas avec L’adorable Bel Boul repris à Séville, en Espagne ainsi que dans le Frioul ou encore Il Paese dei Campanelli qui sera donné en septembre à Novara. En échangeant avec mes collègues, je constate qu’ils doivent être plus sobres, plus raisonnables que moi dans leur programmation. La réputation de notre travail, de sa qualité devrait les rassurer, les aider à prendre le risque de sortir des sentiers battus: Proposer dans leur saison Traviata, Butterfly, Bohème, Rigoletto et Lucia mais oser également une redécouverte en partenariat avec Martina Franca. Cela coûtera relativement peu cher – car ici le budget est contraint – et moins encore au coproducteur puisqu’il ne financera que 50% de l’ensemble.

Pourquoi vous adresser plus aux théâtres qu’aux festivals, vos alter-ego ?

Parce qu’à mon sens, un festival aspire à une identité forte, il veut inventer, retrouver, recréer d’un point de vue scientifique.

Ce n’est pas forcement la vocation de tous les festivals.

Certes, mais en ce cas, il ne faut pas minimiser la question des egos des directeurs qui ne sont pas partageurs. Ce qui, d’ailleurs, n’est pas que négatif. J’ai aussi mon ego ; c’est lui qui me permet de dire ; « osons! Ce programme audacieux, faisons-le nous-même !»

En parlant d’ego, quel serait votre rêve, la la marque que vous souhaiteriez laisser ?

Ce ne serait pas une œuvre en particulier. Pour moi, un festival doit fonctionner globalement, c’est un temps fort disposant d’un fil rouge, d’une cohésion. A cet égard, je dois avouer que je suis satisfait des programmations de ces deux dernières années. La comédie cette foid, et cinq siècles d’opéra pour l’avant dernière édition. Mon rêve serait de pouvoir continuer à créer une programmation forte de la même cohérence.
Il y a tout de même un projet, débuté à Turin et stoppé par la pandémie que je rêve de voir aboutir, mais ce ne sera pas ici : Il s’agit d’un Dialogue des Carmélites dans une scénographie et des costumes du grand architecte Santiago Calatrava à qui l’on doit l’opéra de Valence, la gare de Liège, Ground Zero… Il a crée des « modello » extraordinaires avec une écriture très personnelle.

Un autre défi ?

Je dis souvent que je suis un invité ici, je vais diriger ce festival pendant trois ans, cinq ans, peut-être plus, mais il appartient aux habitants de Martina Franca. Je veux le faire apprécier non comme un coût mais comme une valeur ajoutée. Il apporte à la ville une identité, une force économique, une ressource. Cela il faut l’expliquer aux habitants en délaissant le langage trop artistique pour une parole qui leur soit mieux adressée.
Certes, le théâtre doit parler de lui-même. Cette année, il doit être divertissant. L’année prochaine, sa mission sera peut-être d’émouvoir mais ce qu’on me demande ici trop souvent c’est « pourquoi ne faites-vous pas une Bohème, une Butterfly ? Ce festival est pour les autres, pour les connaisseurs et pas pour nous ! »

Et que leur répondez-vous ?

Que le théâtre de Bari est à une heure, que là-bas ce sont les affiches qu’ils pourront applaudir. Qu’en voyageant, Vérone, Tore del Lago leur proposeront La Tosca, la Bohème… Et qu’ici, il auront autant d’émotions, avec des œuvres moins connues mais toutes aussi intéressantes. Et que si ils sont curieux, ils iront voir les deux !
Ce que nous proposons ici, personne d’autre le fait. Et les gens viennent du monde entier pour cette raison précise. Ils ne feraient pas le déplacement pour une Butterfly ou une Tosca. Je serais le premier à ne pas venir ! Ce sont des œuvres merveilleuses mais cela ne m’intéresserait pas de les voir ici : il faut faire avec les données du lieu et y proposer une identité forte et unique. Et le défi, c’est d’une part de protéger cette identité et d’autre part de la reconquérir chaque année avec le public, les journalistes…
Pour ma part, je viens à Martina Franca depuis l’an 2000 parce que j’y ai toujours trouvé quelque chose qui a ouvert mon horizon. Avec le plus grand respect, il me faut tout de même dire que si je vais aux arènes de Vérone pour la cinquantième version de Nabucco ou Aïda, cela ne me satisfera pas même si je comprends bien qu’elles ont leurs enjeux et leur public, qu’elles doivent remplir cette jauge impressionnante.
Ici, il me faut chaque année reconquérir cette réputation, expliquer que nous ne faisons pas seulement des propositions étranges, méconnues, mais que nous les faisons bien ! Pour le Turco in Italia par exemple, nous avons des chanteurs de premier plan, l’interprète de Selim, Adolpho Corrado a gagné le mois dernier le concours BBC Cardiff singer of the world, notre Don Geronino, Giulio Mastrototaro a chanté ce rôle l’an passé à la Scala de Milan.
Le public profite, se divertit. J’aimerais qu’il réalise que ce que nous proposons ici, coûterait dix fois plus dans une maison comme la Scala, par exemple, et que le prix du billet serait sans comparaison. [NDR : Ici, un abonnement pour quatre opéras revient à 150€, 200€ si vous y ajoutez deux concerts.] Or le résultat final entre les deux maisons n’est pas si différent.
De plus en venant ici, le spectateur expérimente également la richesse d’un territoire qui a beaucoup à offrir. A l’origine, le festival a été crée pour faire connaître la Vallée d’Itria, ses paysages, ses trulli, son vin, sa gastronomie…

Le festival au départ était donc un outil de promotion touristique ?

Absolument, en 1974, les Pouilles étaient méconnues. Aujourd’hui encore, le festival reste l’ambassadeur de la région. J’en suis d’ailleurs le premier exemple puisque je ne savais rien de toute cette richesse la première fois que je suis venu pour applaudir une amie. C’est tout un monde que j’ai alors découvert ! Après vingt ans, j’ai fini par y acheter une maison et faire des Pouilles mon second chez-moi.

Quelle est la composition des festivaliers aujourd’hui ?

Le sondage réalisé en 2021, dans un cadre post pandémie un peu particulier montrait une photographie comprenant 20% d’étrangers – j’aurais pensé plus, à dire vrai – 40% de résidents des Pouilles et la même proportions d’italiens venant d’ailleurs.
Cette année, il me semble que nous avons plus d’étrangers, mais d’étrangers résidant ici, en particulier britanniques et allemands. J’ai développé à leur intention la communication en anglais, inexistante jusqu’à présent. D’ailleurs nos opéras sont surtitrés en italien et anglais (sauf l’adorable Bel Boul, ce dont je suis très mécontent). J’ai aussi crée des échanges particuliers avec les expatriés français, belges présents sur facebook avec des groupes dédiés.

Le festival et vous-même avez le même age, 49 ans. Pour lui comme pour vous, est-ce le temps de la maturité ou celui des folies enfin assumées ?

Cela, personne n’est censé le savoir (rire). A vrai dire le nouveau président du festival et de la Fondation, Michaele Punzi, est lui aussi né en 1974. L’an prochain, nous prévoyons une grande fête pour tout ces cinquantenaires !
Pour répondre à votre question, je crois posséder la folie, le sens de l’extraordinaire, la curiosité de l’enfant qui me permettent d’explorer les possibilités du festival. De jouer, d’inventer, d’explorer… En décembre dernier j’ai travaillé à la bibliothèque de Turin sur les manuscrits de plus de vingt opéras de Vivaldi. Je me sentais comme un gamin le matin de Noël. Cette curiosité m’aide à sortir de ma zone de confort, car je me dois de prendre des risques.

Nous vivons une époque dangereuse pour notre art où les gens sont dispersés mentalement, or, en zappant, ils perdent le sens d’une œuvre, ses détails. La curiosité manque aussi à beaucoup, or elle est moteur de progrès, indispensable à la vie même : sans curiosité nous n’aurions ni la pénicilline, ni le radium, notre espérance de vie serait d’une trentaine d’années, à peine. Aider les gens, par le biais de l’art, de la musique, à retrouver curiosité et concentration, présence, me semble un bel enjeu. Divertissement, apprentissage, réflexion, … il nous faut mettre en œuvre toutes les facettes du théâtre pour aller au devant du public et le nourrir de beauté.

A applaudir encore avant la fin de cette 49e édition:
Il Paese Dei Campanelli, C. Lombardo et V. Ranzato, les 26, 28 et 30 juillet
Il Turco in Italia, G. Rossini, les 1er, 4 et 6 août
Gli Uccellatori, F. L. Gassmann, les 2 et 5 aout

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