Après Dumesny / Lully et Jéliote / Rameau, Reinoud Van Mechelen clôt sa trilogie consacrée à la voix de haute-contre avec un album dédié au chanteur Joseph Legros (1739-1793). Page de la Chapelle Royale, puis recruté par l’Académie royale de musique à l’âge de vingt-cinq ans, Legros fait ses débuts dans le rôle-titre de Titon et l’Aurore de Mondonville. Il devient très rapidement la haute-contre vedette de la troupe et crée plusieurs rôles des tragédies lyriques de Gluck. Il se retire de la scène en 1783, pour des raisons de santé, et dirige le Concert Spirituel entre 1777 et 1790.
Dans la première partie du disque, consacrée aux rôles chantés par Legros avant sa rencontre avec Gluck en 1774, on retrouve Reinoud Van Mechelen à son meilleur, idéal de style et parfait dans la déclamation. Quelle délicatesse par exemple dans la plainte quasi-baroqueuse « Que mon destin est déplorable » extraite de Thétis et Pelée de Jean-Benjamin de La Borde. Tout aussi somptueux est l’air « Amour, si tu te plais à ma douleur mortelle » tiré de La Fête de Flore de Jean-Claude Trial, où la voix de haute-contre dialogue avec les flûtes, et dans laquelle on admire une nouvelle fois le timbre enchanteur de Reinoud Van Mechelen (quels aigus !).
La suite du programme appelle en revanche quelques réserves, notamment dans l’interprétation des airs composés par Gluck. Si le ténor belge excelle à nouveau dans la simplicité des couplets du « J’ai perdu mon Eurydice », puissance et héroïsme manquent à d’autres airs. Les exclamations d’Achille « Trompettes, retentissez ; Fiers Troyens, frémissez » dans Iphigénie en Aulide et les coloratures qui s’en suivent auraient sans doute plus d’impact si elles étaient davantage scandées. Dans la dernière plage du disque, après un récitatif « Quel langage accablant pour un ami qui t’aime ! », l’air de Pylade « Unis dès la plus tendre enfance », comme expédié, déçoit, là où Yann Beuron nous arrachait des larmes sous la direction de Marc Minkowski.
Il est vrai qu’avec six violons, l’ensemble A Nocte Temporis, malgré l’excellence de ses instrumentistes, peine à rendre justice à la grandeur et à la richesse de certaines pages orchestrales, et apporte un soutien parfois insuffisant à Reinoud Van Mechelen. Avec cet effectif orchestral réduit, difficile de rendre compte correctement de l’Ouverture d’Iphigénie en Tauride, qui expose exagérément timbales et trompettes, ou encore de soutenir suffisamment la fureur quand l’Alexis de Gossec entonne « Cruel amour, je romps ta chaîne ». Pour autant, les instrumentistes d’A Nocte Temporis sont irréprochables. Les solos de flûte, instrument très présent dans ce récital, sont brillamment exécutés par Anna Besson, délicieuse dans le Ballet des Ombres heureuses d’Orphée ou encore dans le Ballet des Nymphes de Diane extraits de Céphale et Procris de Grétry. Le hautbois de Benoît Laurent accompagne quant à lui magnifiquement le « Quel nouveau ciel pare ces lieux », extrait du même Orphée.
Un disque soigné et qui mérite d’être découvert, ne serait-ce que par les pages inédites qu’il révèle, mais qui ne donne pas l’impression d’avoir fait le tour du sujet Joseph Legros. Nul doute qu’à la scène, Reinoud Van Mechelen trouvera les accents et le soutien qui lui manquent ici, à l’instar de son Orphée donné cette année à la Philharmonie de Paris.