Le festival de Saint-Céré propose deux semaines d’une riche programmation entre lyrique et musique de chambre pour satisfaire tous les mélomanes. Selon son conseiller artistique Jean Baptiste Henriat, sa mission n’est pas de proposer des œuvres lyriques en grandes formes. L’enjeu est plutôt de « construire un précieux lien de confiance avec le public local en proposant des versions écourtées, allégées mais jamais appauvries, avec des partis pris scéniques forts, dans une grande diversité d’esthétiques et de formes ».
Celui qui est également délégué général du Chœur de Radio France se réjouit de créer des relations au long cours avec des structures ayant la même sensibilité. C’est le cas avec la compagnie Muziektheater Transparant, basée à Anvers, qui propose ici – après le théâtre de l’Athénée l’an passé – une version au confluent de la musique et de la littérature du Rigoletto de Verdi et du Roi s’amuse de Victor Hugo.
Le festival investit avec gourmandise les lieux patrimoniaux les plus divers : châteaux, jardins, églises… Après l’exceptionnel Castelneau-Bretenoux pour la tragédie de Carmen, c’est le superbe écrin Renaissance du château de Montal qui sert de cadre à cette soirée d’opéra de tréteaux, en plein air, délicieusement débuté par un dîner champêtre.
Une porte, deux escabeaux encadrent un piano monté sur un plateau tournant qui permet de dévoiler dès le début de la soirée, la scène finale de Rigoletto : le bouffon du roi découvre sa fille morte en lieu et place du souverain dont il avait commandité l’assassinat. C’est en flash-back que Filip Jordens, excellent comédien, nous narre la farce qui a mené au drame.
Rigoletto © Théâtre de l'Athénée
Tom Goossens a remarquablement construit sa narration et l’on passe une très agréable soirée. Laissant libre court à son goût du burlesque, il se plaît à dynamiter cette partition tellement célèbre. Blagues potaches, actualisation du texte entre argot, référence à l’actualité covid, voire intrusion des chamailleries entre artistes flamands et néerlandais… Tout concourt à créer avec le spectateur une complicité pleine d’ironie.
Il s’agit bien là de théâtre musical, mais en dépit de l’interprétation impliquée de Wouter Deltour, on atteint ici les limites du genre car il ne reste plus grand chose de l’œuvre de Verdi : pas un air n’est interprété intégralement. Le metteur en scène, secondé par la comédienne Karlijn Sileghem incarnent tous les personnages secondaires et forment une espèce de chœur assez hilarant qui commente l’action avec beaucoup d’ironie. Ils traduisent en français les paroles des airs en une espèce de surtitre vocal amusant mais délétère pour l’écoute. Cela s’avère d’autant plus dommageable que les deux chanteurs sont d’un excellent niveau.
Le timbre corsé aux aigus riches et pleins d’Esther Kouwenhoven fait merveille au point qu’elle réussit le tour de force d’émouvoir avec son « Caro Nome » pourtant fort perturbé.
Lars Corijn, voix puissamment projetée au timbre brillant, ose tirer le roi vers le ridicule. Il massacre volontairement la scie que constitue son air le plus célèbre en marquant, faisant mine d’en oublier les paroles italiennes pour en proposer une fausse improvisation en français et terminer assis sur le clavier du piano.
Les deux artistes ont fort à faire pour maintenir la justesse dans les quelques phrases d’ensembles où les comédiens font de leur mieux … avec des moyens limités et une mémoire parfois défaillante.
Cette réinterprétation belge de deux monuments français et italiens s’avère donc un Objet Théâtral plus que Musical Non Identifié, à l’extrême du genre du théâtre musical.