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ROSSINI, Edoardo e Cristina – Pesaro

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Spectacle
19 août 2023
L’arbitraire à son comble ?

Note ForumOpera.com

3

Infos sur l’œuvre

Dramma per musica en deux actes

Musique de Gioachino Rossini

Livret de T.S.B.

Édition critique de la Fondation Rossini en collaboration avec la Maison Ricordi établie par Andrea Malnati et Alice Tavilla

Détails

Nouvelle production

Mise en scène, décors, costumes, lumières et chorégraphie
Stefano Poda

Assistant à la mise en scène
Paolo Giani

 

Carlo
Enea Scala

Cristina
Anastasia Bartoli

Eduardo
Daniela Barcellona

Giacomo
Grigory Shkarupa

Atlei
Matteo Roma

 

Chœur du Teatro Ventidio Basso

Chef de chœur
Giovanni Farina

Orchestre symphonique national de la RAI

Direction musicale
Jader Bignamini

 

Pesaro, Vitrifrigo Arena, 17 août 2023 à 20h

 

 

« Un discrédit de longue date », pour reprendre l’expression de Marco Beghelli, entoure Eduardo e Cristina. Dès la création l’œuvre était qualifiée de centone, c’est-à-dire de compilation d’extraits de compositions précédentes. Rossini aurait même poussé l’effronterie jusqu’à insérer un air composé par Stefano Pavesi pour ce livret en 1810. Repris et répété sans être remis en cause, ce jugement à l’emporte-pièce est encore considéré comme la juste sanction de la postérité. L’essai de Marco Beghelli reproduit partiellement dans le programme de salle permet de dissiper nombre de préjugés et d’apprécier plus exactement les mérites de cette partition où le connaisseur s’amusera à essayer de reconnaître Ricciardo e Zoraide ou Ermione, quand le profane découvrira de la belle musique.. Mais que raconte le livret ?

Le roi Carlo de Suède a choisi pour gendre Giacomo, le prince héritier d’Ecosse. Il ignore que sa fille Cristina a épousé en secret son meilleur officier, Eduardo, récent vainqueur de la guerre contre l’invasion russe, et qu’ils ont eu un fils. Quand il annonce publiquement sa décision, elle résiste obstinément, tant et si bien que le roi revient brutalement à la charge dans l’appartement où il l’a confinée, effrayant l’enfant qui sort de sa cachette et se réfugie dans les bras de sa mère. Au roi furibond Cristina refuse de révéler le nom du père malgré les pires menaces. Alors Eduardo se dénonce pour qu’elle soit épargnée, mais le roi outragé est déterminé à les faire mourir tous trois. Le prince d’Écosse est pragmatique : si Cristina accepte la mort d’Eduardo  il est prêt à l’ épouser et à élever l’enfant. Elle repousse encore cette offre qui lui sauverait la vie. La famille semble condamnée quand une attaque surprise de Russes échappés au massacre change la donne. Giacomo a échoué dans sa controffensive. Les partisans d’Eduardo vont le délivrer dans sa prison et évidemment il sauve une fois encore le royaume. Dès lors le roi ne peut plus qu’admettre la situation et se réjouir avec sa famille.

Tout est bien qui finit bien, c’est la loi du genre à l’époque, Rossini le sait bien depuis l’insuccès du final tragique de Tancredi. Mais Stefano Poda, le démiurge qui a réglé mise en scène, décors, costumes, lumières et chorégraphie, en a décidé autrement. Carlo, sauvé une nouvelle fois par Eduardo, renonce bien à noyer dans le sang l’outrage infligé à son autorité, mais il se tient à cour, à bonne distance de sa fille et de son gendre qui sont à jardin, et quand il relâche son étreinte sur son petit-fils, l’enfant s’écroule. Est-il mort étouffé ? Ainsi le final joyeux devient tragique ; d’autant que les parents qui chantent le bonheur retrouvé avec des mines lugubres ne se sont rendu compte de rien. Cette trouvaille couronne une série de choix qui amènent à s’interroger sur les intentions de Stefano Poda, que malheureusement la déclaration rapportée dans le programme n’éclaire pas vraiment.

Que signifie « traiter cette œuvre comme une œuvre d’art contemporaine et la transformer en un poème sur l’altérité » ? Pourquoi adopter un langage hermétique au plus grand nombre ? C’est un nouvel exemple de ces mises en scène qui n’ont pas pour objectif premier de rendre compte de l’œuvre pour ce qu’elle est mais de réaliser, fût-elle à l’opposé de son esprit,  la vision de leur auteur. Eduardo e Cristina n’avait pas l’ambition de rénover le théâtre lyrique. Il s’agissait pour Rossini de fournir le produit qui lui était demandé dans les conditions prévues par le contrat, et c’est chose faite, comme l’explique Andrea Malnati dans l’article où il expose le résultat des recherches pour reconstituer la partition. Et c’est une occasion de plus de déplorer que la décision prise au tournant du siècle de faire de Pesaro un laboratoire de la mise en scène reste encore d’actualité.

Reste un spectacle qui en met plein les yeux, souvent trop car des évènements secondaires viennent parasiter, pour discrets qu’ils se veuillent, les échanges entre les protagonistes qui constituent par essence l’action dramatique. Le décor est gigantesque ; de part et d’autre du plateau de hautes vitrines qui pourraient être aussi bien les réserves d’un musée que des caissons transparents dans une morgue referment des centaines de statues ? mannequins ? cadavres ? Le fond de scène est occupé entièrement par une immense installation qui semble le résultat d’une accumulation maniaque de débris de provenance indéterminée même si certains sont identifiables comme fragments de statues. Un réseau apparemment métallique enserre  ce dispositif, le protégeant et l’emprisonnant. Les éléments de base sont mobiles et seront employés à divers moments, manipulés par qui sera disponible sur le plateau, puisqu’ au deuxième acte le prince héritier d’Ecosse et l’adjoint d’Eduardo s’y astreindront. Le bas du panneau central permet une circulation des personnages et les danseurs, à la fin du spectacle, y composeront discrètement une sorte de frise évocatrice de temples indiens.

Anastasia Bartoli © DR - ROF

Sur le plateau, justement, figure très souvent, surtout au premier acte, une troupe de dix-huit danseurs et danseuses. La distribution prévoit, selon les didascalies, des prisonniers. Cette fonction représentative est-elle la leur ? Est-ce une contamination du défilé des prisonniers dans Aida ? Ils apparaissent à jardin, dévêtus hormis un cache-sexe et traversent la scène en troupe pantelante dont tour à tour tel membre s’effondre et parvenus à cour repartent en marche arrière pour recommencer leur pantomime acrobatique. N’était que leur présence n’apporte souvent rien aux scènes où ils interviennent, à part ressasser que les conséquences de la guerre sont horribles, en les montrant dans une errance apparente tels des ombres malheureuses, victimes d’agressions répétées de la part des Suédois, surtout du roi, on reconnaît très volontiers le grand talent de chorégraphe de Stefano Poda et on loue sans réserve l’engagement de cette troupe de rencontre.

Une conséquence néfaste de ce foisonnement scénique, dont le détailler allongerait encore ce compte-rendu, est une impression de discontinu qui vient à l’appui ceux qui dénient à l’œuvre toute cohérence dramatique. Or celle-ci naît de la cohérence musicale, et l’article de Marco Beghelli  montre lumineusement comment Rossini n’a pas travaillé au forceps mais ajusté aux conditions nouvelles sa partition, avec le souci d’améliorer si possible les musiques « repêchées » et d’adapter les lignes de chant aux nouveaux interprètes. Tous les musiciens de l’époque travaillaient ainsi ; s’en prendre à Rossini à ce propos est un opportunisme de mauvais aloi. Mais si le metteur en scène n’a pas l’humilité de prendre les données de l’œuvre telle quelle on doute qu’il puisse la servir au mieux.

Daniela Barcellona © DR - ROF

Heureusement, si le spectacle, en dépit de sa densité, de la beauté de certains costumes solistes, des oppositions binaires blanc-noir qui n’éclairent pas forcément qui est qui quand les chœurs chantent, de la reconstitution « téléphonée » d’une statue par la réunion des fragments enfermés d’abord dans les vitrines séparées, de l’utilisation des danseurs comme socle mouvant, soumis à des vexations  sadiques et/ou à des abus sexuels, si le spectacle, donc, laisse plus réticent que conquis, les versants musicaux et vocaux prêtent moins à controverse.

L’Orchestre symphonique de la RAI de Turin rutile déjà dans l’ouverture, dont Jader Bignamini veille à exalter la dynamique, la variété des couleurs et la séduction mélodique. Il réussira à maintenir la tension sans trop lâcher la bride afin que l’équilibre sonore avec le plateau soit préservé pour l’essentiel. Belle prestation des chœurs du Teatro Ventidio Basso, répartis de part et d’autre de l’orchestre dans la scène finale, comme si la liesse finale n’était qu’une fiction à laquelle le spectateur ne doit pas croire. Dans le rôle secondaire d’Atlei, le second d’Eduardo qui lui reste fidèle dans l’adversité, le ténor Matteo Roma fait montre d’une voix sonore et expressive. La basse Grigory Shkarupa donne au prétendant écossais une présence certaine, tant scénique que vocale, haute taille, voix profonde, bonne diction.

Si le titre met en vedette les éléments d’un couple uni par l’amour, l’homme qui contrarie leur bonheur est malheureux, du moins à en juger par le  jeu de l’interprète dont on peut supposer qu’il suit la direction d’acteurs qui lui a été indiquée. Stefano Poda voit le roi Carlo comme un homme tourmenté, peu capable d’empathie et dont les colères sans limites trahissent sadisme ou impuissance secrète, d’autant plus farouchement niée. Enea Scala compose un personnage d’emblée névrotique et saura mener jusqu’au bout la performance d’acteur. Vocalement, le chanteur a la générosité qu’on lui connaît, et elle est sans faille en dépit du nombre des embûches vocales accumulées ; mais quitte à être traité de radoteur, on peut douter que ce type de chant souvent en force aurait ravi Rossini. Cette réserve vaut aussi pour Anastasia Bartoli, dont la vigueur vocale débouche sur un chant extraverti où la douceur du personnage, qu’on devrait sentir dans le timbre, n’affleure que rarement, alors que dans la zone supérieure des notes aigües flottent des échos acidulés. Reste l’impact indéniable de la puissance. Quant au personnage de victime, il apparaît d’une résilience inhabituelle.

La vigueur vocale n’a pas fait défaut à Daniela Barcellona, si sa voix n’a pas l’impact de celle de sa partenaire. Si on tend l’oreille, c’est pour absorber avidement les plus infimes éléments sonores d’une émission conforme aux canons du chant rossinien, qui comble déjà par là-même et ne cessera d’enchanter l’auditeur enveloppé dans les volutes et les arabesques ou transporté par la justesse des éclats. La noblesse du maintien est devenue une seconde nature et on s’abandonne, ayant enfin atteint enfin au port qu’on espérait.

Le succès est certain, en termes d’applaudimètre. Mais on ne peut passer sous silence le nombre de sièges restés vides. Désaffection circonstancielle ou crise plus profonde ? Il ne faudrait pas que  les habituels satisfecits masquent la proximité de l’abîme.

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